Avant la nuit est une oeuvre bardée de cautions artistiques. Un film qui se présente d’emblée comme un produit culturel de bon goût et de bel esprit. Prenez un metteur en scène artiste peintre, un personnage principal qui n’est autre que l’un des plus grands écrivains dissidents cubains (Reinaldo Arenas), saupoudrez de quelques participations « de prestige » çà et là -Lou Reed et Laurie Anderson à la musique (additionnelle), Sean Penn et Johnny Depp dans des rôles lilliputiens-, mélangez bien, ajoutez quelques pincées de velléités cinématographiques, et vous obtiendrez… une bouillabaisse peu ragoûtante !

D’abord, il y a ces images léchées aux couleurs criardes, ces lents et amples mouvements de caméra qui caressent la campagne cubaine, cette curieuse manie d’enchaîner dans le même plan travelling et gros plan… Toute cette recherche d’une pseudo-perfection cinématographique fatigue tant elle respire la sueur et la transpiration. C’est clinquant, voyant, mais jamais beau, jamais troublant, jamais émouvant. Cette pachydermie esthétique annihile toute la saveur subversive du testament d’Arenas, et à force de vouloir « faire sens », Schnabel finit par s’embourber dans les pires clichés : que penser, par exemple, de cette séquence où les policiers cubains martyrisent des poètes homosexuels avec, en fond sonore, une musique douce et harmonieuse ?!

Ensuite, il faut bien dire deux mots sur l’utilisation des langues. On a l’habitude de voir, dans les gros blockbusters transgéniques, les non-Américains parler anglais avec un fort accent étranger (teuton, nippon, rital, etc., selon les cas), pour des raisons assez évidentes d’optimisation du profit ; mais là, pour une production intellectuelle de prestige, ça ne passe pas. Pas du tout. Voir ainsi les Cubains parler anglais avec un fort accent latino crée un décalage qui confine à l’absurdité loufoque lors des scènes de procès. Comment, en effet, ne pas sourire devant ces accusations de « suppôt du capitalisme », d’ »espion de la C.I.A. » ou encore d’ »agent de l’impérialisme yankee », lorsqu’elles sont prononcées par un cadre du parti dans la langue de George W. Bush ! Mis à part les discours de Castro, seules les injures proférées par les différents personnages ont la « chance » d’être en espagnol… Curieuse logique quand même, qui flirte presque avec le raccourci racial bon teint (le Latino impulsif qui jure dans sa propre langue). C’est d’autant plus dommage que la vie et l’histoire de ce Reinaldo Arenas avaient l’air assez passionnantes. Mieux vaut se contenter de lire le livre homonyme, paru chez Babel / Actes Sud.