Même s’ils surfent tous deux sur la même vogue du cinéma d’horreur japonais, on aurait tort de rapprocher outre mesure la saga des Ring réalisée par Hideo Nakata et Audition de Takashi Miike. A l’inconsistance et aux effets tape à l’œil de l’un s’oppose en effet l’horreur raffinée de l’autre. Audition est le premier film de Takashi Miike à sortir sur les écrans français, pourtant le bonhomme a déjà une cinquantaine de longs métrages à son actif ! Avec Audition, Miike compose un psycho-thriller des plus dérangeants ; la terreur pure étant ici au service d’un récit riche en résonances critiques vis à vis de la société nippone. Sans doute doit-on cette dimension au roman éponyme de Murakami Ryu qui sert de socle littéraire au film. Bien connu pour ses positions polémiques vis à vis de son pays d’origine, Ryu semble ici abandonner l’emphase « décalée » et un rien branchée de son style au profit d’une histoire épurée superbement exploitée par Miike. Alors qu’il cherche à se remarier, Aoyama a la mauvaise idée de suivre les conseils d’un ami producteur qui lui propose d’organiser un immense casting avec dénouement télévisuel à la clé pour trouver la perle rare. Mais l’heureuse élue n’est pas vraiment telle qu’il se l’imaginait…

Conçu selon un terrible crescendo, Audition exploite habilement les codes du thriller, en particulier le jeu sur les apparences évidemment trompeuses. Si le film commence comme une version dégénérée de Popstars -le mariage organisé pour accéder à la gloire- avec son défilée morose de candidates bonnes à rien et prêtes à tout, il dérape quand le choix du héros s’arrête sur celle qui semble réunir toutes les qualités inhérentes au statut d’épouse : la discrète Asami, belle, jeune, mais surtout polie et soumise. Les critères de choix en disent long sur l’idéal féminin nippon et les rapports homme-femme entretenus au Pays du soleil levant. Comble du raffinement, Audition s’arrange pour nous présenter la coupable sadique sous les traits d’une jeune fille sage au passé tourmenté -on est loin de la tigresse Glenn Close dans Liaison fatale. C’est un peu d’ailleurs ce qui distingue les deux films ; Audition organise une subtile montée vers l’angoisse jusqu’à un dénouement d’une perversité aussi délicate qu’insupportable. Malgré toutes les sévices qu’elle impose au pauvre Aoyama, la jolie Asami n’est pourtant jamais entièrement bourreau comme si ses actes étaient en quelque sorte « excusés » par son passé traumatique. Un point de vue perturbant qui révèle l’ambition d’une oeuvre qui dépasse de loin le classique film de genre.