Parfum de revanche : Osamu Tezuka, vénérable sumotori du manga au Japon, voit sa créature Astroboy adaptée par les ricains. Lui ! Lui qui fut victime d’un boycott féroce orchestré par Walt Disney il n’y a pas si longtemps…

Flash back, cap sur les sixties : notre mangaka est un « monstre », ses succès – du Roi Leo àPrincesse Saphir, pierre angulaire du shôjo (manga pour jeunes filles) – sautent les frontières et pénètrent les foyers US. Sur les terres de l’Oncle Walt ! Celui qui spolie l’imaginaire enfantin depuis la nuit des temps animés, voit ses Mickey et Peter Pan concurrencés par des robots nippons. L’horreur : les « chères petites têtes blondes » deviennent des anime-fans ! C’est à peu près quand Tezuka a créé son propre studio Mushi (« insecte » en japonais) et qu’il adapte à l’écran son personnage de Astro, le petit robot (en 1962), que Disney devient méchant : la compagnie menace alors les networks de ne plus donner accès à ses films s’ils diffusent ceux de Tezuka. Nom d’une moustache ! On connaissait Walt Disney facho, maccarthyste, (antisémite, selon certaines sources), le voilà maître-chanteur et antitrust. On se souvient au passage – hôpital se foutant de la charité – du pillage du Roi Leo par Le Roi Lion, au point même que le studio Disney présenta ses excuses ! Mais ceci est une autre histoire.

C’est donc Warner qui produit Astroboy. Enfin, pas tout à fait : même s’il est réalisé par David Bowers (Souris city), notre film 3D est surtout sorti fumant des studios hongkongais Imagi. Qu’est-ce que vaut ce cinéma fusion, sauté dans un wok, assaisonné au ketchup ? Déjà, il faut admettre un certain courage pour s’attaquer à ce classique du story manga et de l’anime. On peut redouter tous les otakus, geeks, et même nostalgiques du Club Dorothée (dire qu’à l’époque, l’animatrice était accusée de diffuser des « japoniaiseries » !), prêts à fondre sur le film en cas d’outrage. Semi-surprise : la trame originelle est respectée. Rappelons le pitch, qui tient sur un sashimi : avoir été un petit garçon, mort dans un accident, Astro devient un robot génial (force surhumaine, propulseurs aux pieds, mitraillette dans les fesses…) sous les doigts frankensteiniens de son papa, le Professeur Tenma. L’amour du père, plus fort que la mort… Notre super-héros miniature devient alors l’ami qui vous veut du bien, le seul capable de s’opposer aux forces du Mal… Astroboy est un Pinocchio à l’envers (preuve ici de la fascination assumée de Tezuka… pour Disney), passant ici d’enfant à « presqu’enfant » par la science et non par magie, et gagnant son droit de vivre au mérite.

C’est peut-être là que ça se corse… Si l’on dépasse la lecture simple du divertissement, spectaculaire et souvent drôle (la triplette de robots militants qui font leur « robolution », par exemple), le film brasse des idéaux amerloques. L’universalité généreuse du manga et de Tezuka, devient prétexte ici à quelques vieilles rengaines morales : apologie du « Be what you are », de la méritocratie, et de la bonté sans nuance. S’exerce comme souvent un totalitarisme du bien, seule voie (du salut) possible, symbolisée par l’énergie bleue circulant dans les circuits d’Astro, contre la très méchante force rouge. Un bleu Superman contre le rouge communiste ? Faut-il avoir l’esprit mal tourné pour y voir, encore et encore, l’apologie de l’Amérique sauveuse du monde ? Ce petit bonhomme volant qui porte, sur ses épaules d’Atlas, la cité de Métro City pour la poser sur une Terre dépotoir (un film d’animation de plus qui veut remuer nos consciences écolos…) n’incarne t-il pas un American way of dream apte à réunir Pays du Nord et du Sud pour la meilleure des causes ?

On ne parle même pas de la dimension religieuse assourdissante (résurrection du petit garçon en robot, jeux du Cirque, aspect christique d’Astroboy les bras en croix…), comme si le scénario n’avait pas été écrit à Tokyo mais au coeur de la Bible belt… Stop. Mieux vaut peut-être débrancher, ne pas trop chercher, et se mettre à hauteur d’enfant, car il y a quand même matière à aimer un spectacle de Noël tellement coloré et si gentil.