Diamant noir est à première vue assez différent de tes moyens métrages La Main sur la gueule et Peine Perdue : tu passes de récits estivaux et provinciaux, très renoiriens, à un film noir, très urbain.
Ce n’était pas du tout volontaire. À l’origine, Diamant noir était une commande: un producteur m’avait demandé de réfléchir à un film de braquage après avoir lu un article dans la presse. Il avait lu le scénario d’une long-métrage que je n’avais pas réalisé, et qui allait déjà un peu vers le genre sans jamais y être tout à fait. D’où sa proposition, que j’ai acceptée. Et très vite s’est dessinée en moi la ligne du film : l’histoire d’un mec qui veut venger son père, en s’en prenant à sa famille qu’il ne connait pas.

Et pourquoi une famille de diamantaires ?
Dès le départ, je voulais une famille riche, pour appuyer l’idée d’un clan et d’une fortune à dérober. Sauf qu’initialement, cela se passait dans une ville suisse, où l’on confectionnait des montres de luxe, comme dans l’article. Puis le milieu du diamant a émergé comme un possibilité, et je me suis rendu compte que ce milieu avait été très peu traité au cinéma.

À différents égards, le film pourrait faire songer à Mauvais Sang de Carax…
Je ne l’ai pas vu, et je connais très mal Carax. Je sais que Denis Lavant y incarne un voleur, qu’il y a une histoire de virus…

Il y a, au début, un père qu’on ne connait pas et qui décède, une histoire de filiation contrariée, un personnage de cambrioleur ombrageux, un casse dans un immeuble hautement sécurisé et qui vire à la débâcle, une fille fantasmatique et quasi inatteignable, une coloration à la fois très américaine et très française…
Ça alors. Personne ne m’en avait fait la remarque. J’ai certaines images qui me reviennent en tête et c’est vrai que le film avait l’air assez stylisé visuellement, avec des couleurs qui pètent… Je connais surtout le dernier Carax, celui de la décadence. Je n’aime pas du Holy Motors, même s’il y a des choses étonnantes dans le film. En revanche je trouve Pola X vraiment fascinant — bancal et en grande partie ratée, mais vraiment fascinant. Je connais trop peu son cinéma d’une manière générale pour pouvoir répondre, mais évidemment, son ambition est incroyable. Dans le cinéma français, il y de toute façon toujours quelqu’un qui, à un moment, occupe cette place un peu fantasmatique.

Les licornes du cinéma français…
Voilà. Et en même temps je trouve qu’il y a dedans un imaginaire romantico-egotique qui finit par prendre toute la place dans son dernier film : moi, le fils prodige sacrifié du cinéma français… Parce qu’en même temps je ne trouve pas qu’il ait le talent de Rimbaud, et son dernier film a par endroits quelque chose de réellement irritant, il a quelque chose de bâclé, fumiste – en revanche j’avais beaucoup aimé Merde. Pour parler du cinéma français en général, je suis surtout allergique à tout un cinéma de la chronique. Je ne dis pas naturaliste, parce que c’est un mot qui ne veut plus rien dire et que personne ne prend plus la peine de définir. Alors qu’en fait, c’est une généalogie très intéressante le naturalisme…

C’est quelque chose qui transparaissait dans La Main sur la gueule et Peine Perdue.
Mais même dans Diamant noir, il y a quelque chose de l’ordre du naturalisme, dans un sens qui me semble intéressant et noble. La définition que je revendiquerais du naturalisme, ce serait celle de Deleuze. Dans L’Image-temps, je crois, il définit le naturalisme en revenant à Zola, comme le règne des pulsions. Avec l’idée que sous la surface des choses (ce qu’enregistre le cinéma), il y a des pulsions qui veulent se faire jour, et qui sont en général des pulsions animales. Craquer le vernis de la représentation sociale par des pulsions de mort, qui ont vocation à emmener le personnage vers la mort… Cette définition là me va, surtout que chez Deleuze cela va de pair avec une certaine dimension formelle. Alors que ce qu’on appelle aujourd’hui naturalisme dans le cinéma français, c’est une sorte de vérisme, un appauvrissement de Pialat ou de Renoir. Renoir reste probablement  mon cinéaste préféré.

Diamant noir commence sur une séquence très composée, poétique, gore, étirée par un ralenti, noyée dans une mélodie très présente. Pourquoi cette porte d’entrée pour le film ? On est presque dans un giallo, c’est comme si tu voulais imprimer la rétine du spectateur, comme si cette séquence devait agir en surimpression sur le reste du film.
Il faut savoir que cette scène n’était pas prévue pour être l’ouverture du film. Dans la dernière version de scénario, elle devait intervenir dans le premier tiers, quand le personnage vient d’arriver à Anvers et qu’il voit une confiserie en forme de main qui le conduit à délirer l’accident de son père. Sauf qu’au montage, ça ne marchait pas du tout. D’abord parce que c’était hyper illustratif (le personnage venait, peu avant, de raconter l’accident dans son journal. Ensuite, stylistiquement, elle n’était pas du tout soluble dans le reste du film. D’un coup c’était une trouée, potentiellement intéressante, mais qui ne fonctionnait pas. Alors on a décidé de la déplacer, et l’ouverture est vite apparu comme la meilleur option. À l’origine, elle devait être plus courte, mais sa nouvelle place nous a permis de la redéployer et de lui conférer une autre dimension, en l’incluant au générique, en inventant d’autres effets au montage… J’ai conscience que c’était assez provocateur de commencer le film ainsi, puisque la séquence est très violente, à la fois d’un point de vue figuratif (une main broyée, des effusions de sang), mais aussi d’un point de vue stylistique. Elle n’a pas plu à tout le monde. Je crois d’ailleurs qu’on a raté plusieurs festivals à cause de cette scène. Certains nous on même suggéré de la couper pour faciliter notre sélection. Longtemps après, j’ai réalisé que, dans la première version du scénario, le film s’ouvrait en fait avec cette séquence…

La séquence du braquage est un moment important, où beaucoup d’enjeux vont se nouer et se dénouer. Tu prends le parti de la filmer très sobrement, alors que la logique tragique du film pouvait laisser imaginer un accès de fureur, quelque chose qui renverrait au traumatisme figuratif qui ouvre le film…
Je comprends, d’autant qu’il y a des sortes de petits rappels durant tout le film, sous forme de cauchemar ou de petites hallucinations. Mais il ne nous est jamais venu à l’esprit de mettre en scène cette fin comme un retour à ce délire mental.

Pourquoi être allé chercher Olivier Marguerit, un membre de Syd Matters, pour signer la BO du film ?
Je le connais depuis longtemps, c’est quelqu’un de très talentueux. Mais il fallait quand même un effort d’imagination pour lui demander d’écrire la musique de mon film puisqu’il fait une musique plutôt pop et que je lui demandais quelque chose qui lorgnait davantage vers Ennio Morricone. Mais c’est quelqu’un qui est capable de tout faire. Il y un thème qui se décline en deux ou trois thèmes, qui sont des contrepoints. Et il s’avère que c’était un thème que j’avais en tête durant les deux ans d’écriture du film, et que je lui ai sifflé. Et il s’en est emparé, il l’a étoffé, il a ramené deux autres thèmes derrière et il a fait quelque chose de très lyrique, sur une base qui initialement était très mécanique, très obsessionnelle. Je lui ai demandé de faire quelque chose d’à la fois classique, et en même temps de dissonant, de bancal, d’hétérogène.

Le fait d’exporter ton film en Belgique, où se côtoient plusieurs langues et accents, renforce cette hétérogénéité.
Oui et une Belgique particulière puisque c’est la Flandre, et particulièrement Anvers, et particulièrement ce quartier là d’Anvers où il y a un concentré de langues et de cultures.

Le casting est l’une des forces du film : chaque acteur ajoute une couleur de jeu très différente, ne serait-ce que par son accent. Comment l’as tu conçu ?
J’ai un goût pour les castings étranges, qui me font voir des gens que je vois pas souvent, ou déplacent des gens que j’ai déjà l’habitude de voir. Naturellement je suis allé voir un peu partout, mais il y avait peu de jeunes acteurs connus en France qui m’intéressaient. Schneider était un choix intéressant parce que je voulais un acteur qu’on n’identifie pas forcément à un imaginaire français. Et il a un côté étrange et étranger.