Face à ce cauchemar hippie-chic où pas un plan, pas une idée ne surnage, devant ces 122 minutes d’où rien n’émerge sinon la tentation de céder ici et là au fou rire, il faut trouver à s’occuper. Par exemple en cherchant la confirmation, peut-être pas d’un style, mais au moins d’une manière Assayas, et d’une préoccupation à défaut d’un thème. Qu’un cinéma aussi éteint que celui-ci continue de courir, trente ans après ses débuts, après le feu de la jeunesse, n’est pas le moins comique de ses paradoxes. Et l’obstination qu’il met ici à allumer partout des brasiers, de barricades en fêtes new age, prouve bien qu’il s’en étonne lui-même et cherche les moyens de s’en convaincre. Près de vingt ans après L’Eau froide, et deux ans seulement après Carlos qui longeait la même histoire sur le versant du terrorisme international, Après mai revisite donc la jeunesse d’Assayas, celle des seventies noyées dans les vapeurs de 68 et les effluves de patchouli. Mais à la veine vaguement impressionniste de L’Eau froide, qui fut l’un de ses moins mauvais films, s’est substitué la lourde besogne d’un conservateur de musée, travaillé moins par la jeunesse que par le patrimoine – ça, L’Heure d’été le disait très clairement. D’un autoportrait à l’autre se mesure, sur vingt ans, le destin du cinéma d’Assayas, vieux jeune qui, jeune, fut un jeune vieux : L’Eau froide n’avait certes pas volé son titre (quoique tiède eut été plus juste), mais au moins parvenait-il à imiter quelque chose de la jeunesse. Après mai n’en prend plus la peine, occupé qu’il est à exposer son petit patrimoine culturel, tel qu’Assayas l’a retrouvé dans les vieux cartons de son adolescence.

 

Cette jeunesse née des cendres de 68, qu’est-ce qu’Assayas a à en dire ? Rien, c’est-à-dire tout : tout ce qu’un manuel d’histoire illustrée pourrait, sur le sujet, compulser d’images, de vignettes et de thèmes, sans autre hiérarchie que celle mise à disposition par la chronologie. Assayas range ses classeurs, trie ses disques, fait la poussière sur ses bouquins : maoïsme et Syd Barret, free press et Katmandou, amour libre et cinéma politique politiquement fait, tout est là, bien rangé, classé par séquences comme on dispose des bibelots dans une vitrine, et discipliné par les rouages grossièrement dialectiques d’un scénario incroyablement balourd (amour vs. politique, engagement vs. art, ville vs. campagne, etc.). Désolant spectacle, vraiment, que ce téléfilm d’histoire culturelle où la moindre réplique sonne comme la récitation d’une notice encyclopédique, et qui fait redouter tout le long que Michka Assayas ne surgisse d’un bosquet pour lire une note de bas de page.

 

Bien sûr, il n’échappera qu’aux aveugles que cette misère a toujours été le lot de son cinéma. Cinéma de petit propriétaire lymphatique et inquiet, qui trompe son inquiétude en faisant des listes (comme Edith Scob dans L’Heure d’été listait ad libitum le patrimoine familial), listes des signes de l’époque (Demonlover, Boarding gate) ou des signes de l’Histoire (Carlos et son diaporama d’événements de JT), et qui bourre la bouche de ses personnages avec les pages de son vade-mecum, de peur qu’ils ne se mettent à parler tout seul. Mais il y a tout de même quelque chose d’absolument fascinant à imaginer que, penché sur son script, Assayas ne s’étouffe pas lui-même de rire en écrivant des choses comme : « J’vais partir à Londres, mon beau-père fait le light show de la tournée des Soft Machine ».

 

Des détails comme celui-là, des détails qui tuent, il n’y a que ça dans Après mai. Quand Gilles, le héros mollasson par qui transite l’autoportrait, va au kiosque du coin, c’est toute la presse underground de l’époque qui l’attend, répartie en évidence sur la devanture du kiosquier à qui Assayas a confié les clefs du musée. Et que fait Gilles ? Il achète tout, bien sûr, il lit au kiosquier la liste que le film a préparé pour lui en glissant la petite monnaie dans sa poche. Assayas, qui a lu Daney, a pris soin de contourner l’infamie d’Uranus en faisant de ces journaux des fac-similés. Mais sa précaution ne lui évite pas le ridicule, qui vaut bien celui de Berri avec son Cinémonde : la blancheur de ces Actuels flambant neufs est celle du film, c’est celle de ce cinéma-là, c’est celle des gants de coton d’un petit employé des archives.

 

Une dernière chose, un dernier détail. La jeunesse, Assayas aime la filmer sur une scène qu’on retrouve de film en film. Aux deux-tiers d’Après mai, une grande fête est donnée dans une maison bourgeoise. Les jeunes sont partout, s’encanaillant dans les volutes d’un morceau de Captain Beefheart. Cette scène, à peu de choses près, on l’a déjà vue dans L’Eau froide, comme on la retrouvait à la fin de L’Heure d’été. Et dans les trois cas frappe l’insistance avec laquelle Assayas fait passer et repasser aux jeunes le seuil de la maison, pour finalement les laisser rejoindre le jardin en filmant leur fuite dans l’encadrement d’une porte, d’une fenêtre. Il faut être attentif à ce détail, qui résout à lui seul l’énigme du point de vue d’Assayas : quand il filme la jeunesse, c’est avec le point de vue de la maison – avec l’oeil des meubles. Pas sûr qu’avec lui la jeunesse ait trouvé son grand cinéaste. Mais elle peut compter sur un bon antiquaire.

 

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