L’édition DVD d’Appelez-moi Madame, suivant celle de Mix-up, a des allures de come-back pour Françoise Romand, et le cachet INA / vieux docs somnambules pour des nuits TF1 de ses images pourrait laisser croire que cette brillante et singulière cinéaste avait disparu de la circulation depuis ces deux drôles de films, dont le second nommé fut porté aux nues outre-Atlantique sans pour autant accéder à la célébrité qu’il mérite. Or, Françoise Romand, partie enseigner le cinéma aux Etats-Unis, n’a cessé de creuser son affaire et multiplié les projets originaux, et tous supports (pour de plus amples informations, consulter son site).
Grain INA et générique en caractères jaunes : on est au milieu des années 80. 85, Mix-up : en Angleterre, deux bébés furent échangés par erreur à la naissance ; 50 ans plus tard, Françoise Romand vient visiter les familles où les deux filles ont grandi. 86, Appelez-moi Madame : Jean-Pierre Voidies, ancien résistant, militant communiste, poète, marié (avec Huguette), père d’un enfant, a changé de sexe à 55 ans ; appelez-le désormais Ovida Delect, et voyez comment Françoise Romand vient le filmer dans son patelin normand.
On sent bien que Françoise Romand est attirée par des sujets volontiers sensationnels. Mais d’emblée, en quelques minutes, on découvre non seulement que l’approche s’oppose à tout procédé voyeuriste, mais tranche par son inventivité. Romand ne refuse pas le spectacle, au contraire, elle l’organise. C’est Ovida en robe de mariée, sur la plage, déclamant ses vers ; c’est le frère d’une des filles de Mix-up, qui raconte à quatre pattes sous la table comment, enfant, il surprit une conversation lui mettant la puce à l’oreille quant à l’identité de sa fausse sœur. Les films sont drôles, jamais ricanants. Il y a même quelque chose de profondément épique à voir Jean-Pierre / Ovida en robe Daxon réciter un poème devant le monument aux morts du village, face aux anciens combattants, lui/elle qui fut un héros de la résistance.
Il y a de quoi s’étonner devant la fraîcheur de ces films pour la télé, qui sous de faux airs de Strip-tease (qu’inaugura la télé belge juste au même moment, en 85) s’avèrent plus affranchis et ambitieux que la célèbre série. Simplement parce que la cinéaste a le goût de la mise en scène. Mise en scène comme mise en situations loufoques et toujours bien senties, qui racontent quelque chose des personnages à la manière d’un psychodrame ; mise en scène au sens plus classique d’une attention toujours tenue pour le cadre et le montage, qui lui fait chercher des angles, des amorces, des broderies formelle qui cassent l’évidence et portent les personnages au-delà de leur histoire, vers une mélancolie parfois, un horizon de grandeur toujours. Epatant.