American psycho est l’un des meilleurs livres écrits sur les années 80. Une analyse acide et brillante d’une décennie où le culte de l’apparence règne et où, surtout, le fric est devenu la valeur suprême. Ce système meurtrier ne peut que produire et enfanter des serial killers comme Patrick Bateman : le golden-boy meurtrier du livre. Tant en raison de son contenu que de son style, l’adaptation au cinéma du roman de Bret Easton Ellis représente une véritable gageure.
Comment, en effet reproduire l’extrême violence des scènes de meurtres, la crudité des rapports sexuels, sans s’exposer immédiatement aux foudres de la censure ? Comment transposer visuellement un style d’écriture basé sur la répétition telle que la scansion entêtante des marques citées à chaque page ? Ou encore, comment traduire d’un point de vue formel l’un des thèmes essentiels du livre : la confusion des identités ?
Autant de questions passionnantes, de véritables défis visuels pour tout cinéaste qui se respecte mais dont s’embarrasse fort peu Mary Harron. Pourquoi s’échiner à créer des passerelles entre cinéma et littérature, pourquoi s’approprier un langage pour en créer un autre lorsqu’il existe un chemin bien plus rapide ? Il suffit de retenir l’élément mineur de chacune des disciplines, leur plus petit dénominateur commun : l’histoire. Un raccourci fréquemment emprunté par les cinéastes paresseux et peu talentueux qui aboutit à une plate et terne illustration. Entre les mains de la réalisatrice American psycho n’est plus qu’un corps creux, un cadavre que l’on met en images. Lorsqu’elle tient à rester fidèle à la mémoire du défunt en citant fastidieusement en voix off des passages entiers du bouquin, ceux-ci ne sont que de mornes copier/coller entre la page et la bande-son. Or, au risque d’enfoncer des portes ouvertes, en matière d’adaptation, il faut tout sauf être fidèle. Il faut au contraire s’approprier une œuvre, lui faire violence, quitte à la massacrer. On prend évidemment le risque de réaliser un film malade, raté, imparfait mais tout ça vaut largement mieux que cette mise en images frileuse. Et effectivement, lorsque la réalisatrice apporte une touche personnelle, elle se plante en beauté. Par exemple, les meurtres deviennent des numéros de Grand-Guignol dans le film alors que toute leur force provenait de la distance froide et de l’attitude clinique adoptée par Patrick Bateman. On perd sur les deux tableaux, quelle que soit l’option choisie, fidélité ou infidélité, c’est mauvais, très mauvais.
Finalement, sous ses dehors sulfureux, American psycho est le digne représentant américain d’une certaine qualité française, d’un cinéma qui se contente d’illustrer les bonnes histoires que lui offre la littérature.