Récurent au point de devenir un des nombreux projets-mirage d’Hollywood, Alien vs Predator, version cinéma (AVP, c’est aussi des comics, jeux vidéos, séries de cartes, etc.), aura finalement vu le jour, un peu tard tout de même pour surfer sur l’engouement massif d’un sequel de l’affreux guerrier invisible ou du lézard de l’espace. Ne reste à contenter que les fans les plus irréductibles à qui la Fox a fait plaisir sans prendre de risque, confiant la mise en scène à l’un des leurs. Qui d’autre que Paul Anderson, type intègre (il a sa boîte et signe ses scénarios), fou de cinéma de genre et roitelet de vidéo-club (de Mortal Kombat à Resident evil) pouvait raviver mieux que lui la flammèche bis de deux franchises autrefois prestigieuses ? Vraiment, on ne voit pas tant le résultat est à la hauteur de nos attentes actuelles. AVP n’est rien de moins qu’un produit attachant, habité par la dévotion, tenu par un soin technique qui transcende les aberrations de scénario au rang de grand nanar jouissif.

D’Alien ou de Predator, le coeur d’Anderson balance logiquement vers le second, moins classe et visité (deux films seulement : un bon, un mauvais). L’intrigue se passe donc de nos jours, sur notre bonne vieille planète et joue de la fantaisie culturelle des civilisations perdues après la jungle latina et l’enfer urbain de Los Angeles. Un petit groupe, mené par le spécialiste en robotique Charles Bishop Weyland (Henriksen, le répliquant d’Aliens, bonjour l’hommage) explore une impayable pyramide enfouie sous une calotte glaciaire. En lieu et place de trésors délirants (l’édifice est mi-aztèque, mi-khmer, mi-égyptien…), ils vont s’interposer dans un combat mythique entre deux idoles guerrières. Pas de justification ni de construction solide, Anderson s’en fout éperdument. Ne compte qu’un maintient du rythme pour exploiter au maximum les infractuositées légendaires de la série. D’où une compilation de scènes prosternées, où le cinéaste laisse le premier rôle aux effets spéciaux, réalisés par Stan Winston et John Bruno, chefs artisans de James Cameron et monstres sacrés du genre. De ces combats honnêtement scénographiés, ressort un plaisir enfantin du jeu, boosté par une joie communicative à réactiver des mécanismes poussiéreux.

Ce ravissement est même structuré par une montée en puissance du fantasme puéril, que la pyramide décrit en gros filigrane : d’abord délirante dans ses origines, elle dévoile un inappréciable mécanisme labyrinthique en polystyrène, qu’Anderson et ses amis tripotent comme une partie laborieuse de taquin. A chaque mouvement de case, un monstre, un hommage, une nouvelle arme, et autre cadeau-surprise qui aboutit au meilleur, l’alliance hallucinante entre humain et Predator, souligné illico par un proverbe de CM2 (« l’ennemi de mon ennemi est mon ami »). Dès lors, la série B verse définitivement dans une partie de Playmobils géante, hilarante à mort parce qu’imperturbablement sérieuse. A la fois le trésor et la tristesse du film. Anderson n’a ni l’intelligence cynique d’un Joe Dante, ni la finesse virile d’un Romero, mais son AVP emmène sa naïveté aux plus hauts sommets du risible.