Immense, l’aura de sympathie qui entoure Edouard Baer, créateur d’une fantaisie mi-lunaire mi-inquiétante alors que brillait de ses derniers feux l’émission NPA sur Canal +. D’où peut-être l’indulgence dont on voudrait user et abuser à la vision de ce triste Akoibon, second film du cinéaste après le déjà calamiteux La Bostella. Le problème ici n’est pas tout à fait celui des autres comiques du PAF, grillés comme de vulgaires moustiques aux lumières des studios de cinéma. Il est, disons, plus profond. Ni mégalomanie ni complexe de supériorité dans Akoibon, à la différence des grotesques essais non transformés de nos trublions branquignols (de Michael Youn à Maurice Barthélemy). Simplement le constat d’un échec, d’une tristesse, d’un élan mort-né trop conscient de lui-même pour être tout à fait honnête.

Le scénario laisse présager une sympathique pochade vacancière. Sur une île à touristes, deux innocents intervertissent leur rôle pour tenter d’arriver à leurs fins : pour l’un, Baer, il s’agit de gagner le coeur d’une bien-aimée connue sur Internet ; l’autre, un petit escroc, doit sauver la peau d’un complice en débusquant Chris Barnes, ex-roi de la Jet Set qui vit en pacha sur cette île transformée en attire-ploucs. L’univers de l’auteur est bien là, entre clowns livides (Atmen Kélif, Jean Rochefort, Benoît Poelvoorde), papier crépon et petits frissons de fantaisie (la sensualité de Marie Denarnaud, revenue miraculeusement d’un rôle qui aurait pu détruire sa vie, dans T’aime). Ce qu’il manque, alors ? Les limites étriquées du cadre de télévision, à l’image de la petite salle de visionnage de NPA où pouvait joyeusement se cogner le talent kamikaze de Baer. Tout ici est trop grand, trop large, transformant l’absurde en flottement, et le gouffre, au-dessus duquel danse habituellement le funambule, en véritable ravin ouvert sur le néant.

Il faut alors en revenir à l’épouvante du méta et de la mise en abyme : virés, Poelvoorde, puis Rochefort, pour cause d’inaptitude aux rôles qui leurs sont confiés. Le film se transforme en scène, et les acteurs qui patinent en professionnels en crise. La chanson est connue (remember Les Clés de bagnole de Baffie, beaucoup plus frais dans le genre) et témoigne d’une sorte d’impuissance pathétique à entrer dans la sphère du cinéma. A Edouard, on ne demanderait pourtant pas la lune: juste enlever l’affreuse étiquette de l’acteur-réalisateur-dialoguiste-producteur-scénariste pour redevenir, le temps d’un film, simple baladin comme à ses plus beaux instants.