Ainsi soit-il est le nouveau geste de résistance de Gérard Blain. Résistance à l’inflation capitaliste dans la société et le cinéma, résistance aux films de consommation courante, à la suprématie culturelle américaine et aux mécréants de tout poil. Un combat que certains ne manqueront pas de qualifier d’arrière-garde, mais dont l’exemplaire intransigeance ne peut laisser indifférent.

Soit le plus aride des récits : Régis (Paul Blain) cherche à venger son père, modèle d’intégrité assassiné parce qu’il était sur le point de dénoncer les méfaits commis par son patron, éminence véreuse et corrompue. A partir de ce postulat très classique, Blain organise sa fiction autour de deux espaces. La France tout d’abord, vaste terrain gangrené par une crasse économique et politique que figure à la perfection une poignée d’industriels aux mains sales (parmi eux, l’inquiétant Michel Subor, ex-petit soldat godardien). En marge de cet univers pourri se tient, presque recluse, la cellule familiale, dévastée par la mort du patriarche, en quête d’un nouvel équilibre dont Régis serait le garant. Entre ces deux mondes, la réconciliation est impossible ; car plus qu’à une lutte des classes, Régis se livre à une lutte d’éthiques : le pouvoir de l’honnête homme contre celui de la crapule, et par là même, la mise à l’épreuve des rouages du droit français (quels sont les choix de celui-ci face aux preuves de l’ignominie et comment le Juste, coupable de meurtre, se résout aux sanctions les plus sévères).

Alors oui, bien sûr, Ainsi soit-il fonctionne sur des archétypes (les Bons d’un côté, les Ennemis de l’autre), mais la démonstration n’en retire que plus de puissance. Car tout le film s’acharne à désigner le fossé qui sépare les deux extrêmes d’un pays et la violence découlant de leur confrontation. Un constat bien réel que le cinéma, d’ordinaire, se contente d’atténuer, voire de dialectiser ; Blain, moins posé, peut-être plus courageux, préfère le conflit. Ce qui ne l’empêche pas d’être un cinéaste rigoureux, adoptant un découpage ascétique (avec tout de même une sublime suspension poétique : Régis ému aux larmes en écoutant le vieil enregistrement d’un texte de García Lorca) tout en dirigeant ses acteurs comme des modèles bressoniens. Par la pureté de son art et de ses idéaux, la beauté précise et elliptique de sa mise en scène, et, enfin, l’attentat désespéré commis contre l’ordre établi, Gérard Blain redonne une morale au cinématographe.