A partir d’une idée fantaisiste (avant de rejoindre le paradis, un groupe de récents décédés séjourne dans les limbes pour choisir le souvenir qui l’accompagnera dans l’éternité), Hirokazu Kore-Eda construit un film d’une grande sobriété. Fondé sur un parti pris réaliste, After life n’utilise aucune imagerie fantastique habituellement liée au royaume de l’Au-delà. Bien au contraire, le cinéaste prend avec ostentation le contre-pied des métaphores traditionnelles pour nous présenter un univers très « terre à terre ». Les limbes deviennent alors une sorte de baraquement, à mi-chemin entre l’hôpital et la colonie de vacances ; les deux comparaisons symbolisant la fonction qu’attribue Kore-Eda à ce lieu mythique.

En effet, le tri sélectif qu’implique le choix d’un moment de leur vie est l’occasion pour les « nouveaux morts » d’effectuer un bilan personnel, qui pour certains équivaut à une analyse psychanalytique. Un groupe de professionnels les épaule dans leur recherche lors de séquences d’interrogatoire filmées selon un procédé sommaire : un plan fixe sur la personne assise en face de son interlocuteur. Le même dispositif se répète pour chacun, et le dépouillement formel qui s’en dégage se révèle d’une surprenante efficacité. La mise en images de situations insolites (un vieil homme à la vie terne est obligé de visionner les 71 cassettes vidéo de sa vie pour se remémorer un moment de félicité) s’effectue très simplement (le personnage regarde défiler son existence devant une télé). L’enjeu du film ne réside pas dans la matérialisation de l’irreprésentable, mais plutôt dans les conséquences affectives de cette expérience. Par le biais des mots, des existences se découvrent et les entretiens finissent par former une touchante galerie de portraits.

La seconde partie de After life évoque la réalisation en vidéo du souvenir que le mort regardera dans une salle de cinéma avant de disparaître mystérieusement pour sa destination finale. Moins pertinente, la réflexion du cinéaste souffre d’un trop grand souci de démonstration : Kore-Eda établit une filiation entre l’expérience des limbes et le cinéma, comme si ce dernier était en soi tout puissant, et suffisait à retranscrire la charge affective contenue dans la mémoire humaine. Bien qu’elle soit très belle, cette idée s’exprime cependant dans le film avec un systématisme exempt de toute problématique. Pire, les regrettables digressions de Kore-Eda sur la vie privée de l’équipe gérant les limbes délayent la poésie du film. Une plate histoire d’amour entre les deux jeunes du personnel se greffe de surcroît sur l’atmosphère jusque-là fascinante du film. En perdant de vue l’itinéraire des morts au profit de mini-récits plus conventionnels, After life rejoint les rives de la terre ferme qu’il a en vain tenté de quitter une heure auparavant.