On avait à peu près réussi à oublier la sortie prochaine du nouveau Assayas (Personal Shopper, une inénarrable histoire de fantôme, de deuil et de smartphone déréglé, repartie de Cannes avec un Prix de la mise en scène pour le moins énigmatique), et voilà que déboule, à huit jours d’écart, un nouveau Jacquot qui est, on vous le donne en mille, une inénarrable histoire de fantôme, de deuil et de smartphone déréglé (mais resté quant à lui sur le banc de touche vénitien). On ne sait pas trop ce qui a pu convaincre les distributeurs de fomenter ce rapprochement calendaire façon Grindhouse Rive Gauche, mais c’est en demander un peu trop. Un Jacquot + un Assayas à une semaine d’intervalle, c’était déjà beaucoup. Alors imaginez: deux fois le même !

En l’occurrence, difficile d’en vouloir complètement au réalisateur du récent Journal d’une femme de chambre : c’est Paulo Branco qui est venu le convaincre d’adapter un roman de Don DeLillo, The Body Artist, quatre ans après avoir fait exactement le même coup à David Cronenberg avec Cosmopolis. Et le pitch du livre avait, il faut l’avouer, de quoi l’intéresser. Un vieil et élégant cinéaste (tiens, tiens) vit à l’écart du monde avec sa jeune petite amie performeuse. Ils s’aiment fort et artistement, mais malheureusement celui-ci décède en pilotant sa moto. Restée seule dans leur villa, la jeune veuve est confrontée à toutes sortes de manifestations vaguement paranormales: le parquet grince, le robinet coule sans raison, les volets perdent la boule.

Elle même ne va pas très fort : au plus profond, elle semble ressentir la présence du défunt, au point de vouloir porter ses vêtements, imiter sa voix et singer ses manières. Quelle empreinte restera-t-il du créateur, après sa mort, dans le corps et l’âme de sa créature ? La question, on le comprend, avait quelques raisons de faire frétiller l’esprit de Jacquot, trop heureux de pouvoir fignoler à découvert son fantasme de vieux Pygmalion. Sans aucun effet de distance, le film s’amuse donc à rejouer jusqu’à l’embarras toute la gamme de la relation entre un démiurge et sa muse (tu m’inspires, je t’inspire ; je te possède, tu me possèdes, etc). Un os à ronger dont on retrouve d’ailleurs les extrémités des deux côtés de la caméra, puisque c’est l’interprète elle-même, Julia Roy, qui a signé le scénario (“suivie par moi de près”, précise Jacquot, grand seigneur, dans le dossier de presse).

Inutile de préciser qu’on souffre très vite dans l’atmosphère vérolée de ce vilain petit nanard à l’ambition ringarde et pour le moins paresseuse, dont la symétrie est quasi-parfaite avec le navet d’Assayas, prenant lui aussi prétexte d’une piste fantastique pour touiller une monomanie usée. Bon courage à ceux qui auront la générosité de cette double visite au service réanimation de la modernité française.