Rares sont les films qui atteignent un point de perfection aussi éclatant que celui du dernier Cronenberg. A History of Violence advient, comme toujours avec le maître canadien, à la fois comme une surprise et une confirmation. Surprise car l’oeuvre demeure en perpétuelle mutation, donnant dans une diversité (quel rapport de tenue entre eXistenZ, Spider ou ce dernier film par exemple ?) qui ré-enchante la notion de cinéma d’auteur avec une insolente vitalité. Confirmation car ce plaisir de la diversité, dans l’œuvre du maître Canadien, compose néanmoins avec une stabilité (de statut et d’approche) sans équivalent et qui fait de Cronenberg, probablement, l’auteur des auteurs du cinéma américain contemporain. De ce paradoxe, A History of Violence fait son programme, ce qu’annonce d’une certaine manière l’ambiguïté de son titre : banale série B de commande (une histoire de violence comme mille autres) et mythe fondateur (histoire avec un grand H de l’Amérique).

Cette ambiguïté est redoublée par le sujet même du film, lointaine adaptation d’une BD dont Cronenberg ne connaissait pas l’existence avant la lecture du scénario. Tom, un père de famille tranquille, se transforme en superhéros de sa petite ville le jour où il élimine deux tueurs ultraviolents venus l’importuner dans son petit snack. Via une bande de gangsters venue de nulle part et qui le harcèlent, Tom se retrouve ensuite acculé à l’impossible : est-il ce père de famille tel qu’il veut paraître devant ses enfants et sa femme ou une ex-bête à tuer au trouble passé ? La question de la blancheur du personnage principal est une des grandes obsessions du cinéma hollywoodien des années 2000. A History of Violence est lancé sur des rails familiers : Incassable, Replicant, La Mémoire dans la peau et quelques autres ont chacun posé cette ambiguïté du statut du héros et le film de Cronenberg n’est qu’une nouvelle variation. La nouveauté ? Une manière de ne raccrocher cette dualité à aucun artifice, dans un élan d’épure prodigieux où se superposent transparence de la mécanique (fluidité et perfection absolue des enchaînements) et opacité des enjeux qui l’activent.

C’est à cette modestie, qui engage bien évidemment en son creux des trésors de virtuosité, que le film doit sa magnificence. Lorsque débarquent les gangsters dans le snack de Tom pour lui jeter un potentiel passé de tueur à la face, toute capacité d’identification se brouille chez le spectateur et la pureté incroyable de tout ce que déploie alors la mise en scène (regards, dialogues, réactions, disposition de l’espace du bar) semble tenir l’Amérique entière dans sa poigne. On n’a pas vu plus belle manière de jouer avec les réflexes d’identification du spectateur depuis des lustres, A History of Violence ne cédant bien sûr jamais à la tentation de l’astuce scénaristique ou à un quelconque apparat méphistophélique : tout s’y déploie avec la simplicité du rêve, en un cheminement de visions implacables. Cronenberg est au sommet de son art, et cette simplicité là, cette fermeté aussi, sont bien évidemment la propriété exclusive des seigneurs.