Revoilà Sydney Lumet, dont la production s’est clairement amoindrie depuis son remake de Gloria avec Sharon Stone, il y a dix ans. Vilipendé à l’époque pour avoir touché au monument de Cassavetes, le vétéran n’avait malheureusement rien changé à ses habitudes. Marier académisme hollywoodien et peinture sociale avec une humilité de gentil toutou revenait dans ce cas précis à repriser un chef-d’oeuvre en canevas de grand-mère, ce qui était plutôt fâcheux. 7h58 ce samedi-là est de la même veine, le sacrilège cinéphile en moins : regain de dignité, donc, pour ce thriller porté par une maîtrise de vieux briscard, toutefois réduit à une certaine impuissance, comme engourdi et par ricochet, relativement soporifique.

Petit malaise en somme, tant Lumet n’a rien d’un margoulin, sa mise en scène se lisant comme un livre ouvert, propre, plutôt fluide et élégante. L’intrigue a également de quoi mettre en appétit, tragédie américaine bien ficelée à la noirceur de circonstance, qui rappelle dans les grandes lignes Nos funérailles d’Abel Ferrara. Deux frangins de la classe moyenne, l’un vilain petit canard (Hawke), l’autre héroïnomane et cadre véreux (Hoffman, légèrement too much), dévalisent la bijouterie de leurs parents qu’ils sauront remboursés via l’assurance. S’ensuit un ratage en beauté suintant de tristesses sanguinolentes et de révélations psy pas jojos, les frères basculent du coté obscur, déchirant ce qui reste de famille dans leur sillage. La faute à pas de chance, s’empresse de souligner Lumet, antienne absolue du film, qui dans ses moments les plus insipides rappelle la philosophie d’un Lelouch (en déprimant) ou les fables chichiteuses d’Inarritu, les chichis en moins, justement.

Alors voilà, le film se traîne jusqu’au générique, alignant ses flash-back, ses numéros d’acteurs en mode bouffage d’oreillers, son hystérie distillée, son pathétique démontable. Rien n’est désagréable, Lumet sait tout filmer, rendre comestibles violons et trémolos. L’ennui vient du fait qu’il aurait totalement pu s’en dispenser sans qu’Hollywood ne s’arrête de tourner. Syndrome Gloria, on le répète : le regard porté sur le monde se révèle strictement technique, et confine dans le meilleur des cas (le pire également) à une universalité falote sans prise directe avec l’air du temps. Saisir son époque, emboîter le pas des grands modèles esthétiques contemporains, telle était pourtant la matrice du synthétiseur racé de la grande époque (L’Homme à la peau de serpent, La Colline des hommes perdus, Serpico), qui, en pleine verdeur, pondait discrètement des grands films à la hauteur de ses modèles. Ici non : 7h58 ce samedi-là relève davantage du hobby de pré-retraité que de l’oeuvre crépusculaire, sans doute fantasmée entre deux gorgées d’Actimel.