Retour à la case bande dessinée pour Riad Sattouf après un détour par le cinéma, où on espère qu’il reviendra malgré l’échec public de son second long métrage, Jacky au Royaume des filles, bourré jusqu’à la gueule d’idées hilarantes sur le plan de l’écriture et de l’image, mais plombé par une narration mollassonne et somme toute assez peu cinématographique. Peut-être s’agit-il d’ailleurs d’un défaut typique des auteurs de bande dessinée passés à la mise en scène. On remarque en effet du côté de Joann Sfar ou Pascal Rabaté la même difficulté à structurer le récit autrement que par un empilage de scénettes (de vignettes ?) assez mal reliées entre elles, aux antipodes de la fluidité et de la science de l’enchaînement qui caractérise l’art de la narration filmée.

Ce retour est en tout cas une excellente nouvelle. Disons le tout net : certes aidé par un titre génial, L’Arabe du futur est sans doute le meilleur livre de Riad Sattouf. On y retrouve ce qui le distingue comme l’un des grands auteurs actuels : une capacité d’observation hors du commun au service d’une satire hilarante de la bêtise humaine. Mais l’auteur franchit un niveau supplémentaire avec ce livre en osant attaquer de manière frontale le registre autobiographique, comme s’il était parvenu à atteindre la maturité et le recul nécessaires pour cela. Une grande partie de son œuvre est en effet une autobiographie déguisée (Les Pauvres aventures de Jérémie) ou mal assumée (Retour au collège et No sex in New-York, où l’auteur est présent mais parle des autres pour éviter de parler directement de lui-même), à l’exception de Ma Circoncision, cri de douleur brut d’un enfant blessé dans sa chair et dans son âme. Il est d’ailleurs intéressant de mettre en parallèle ce dernier livre avec L’Arabe du futur, qui pourrait par comparaison passer pour une entreprise de réhabilitation de la figure paternelle. Présentée comme monstrueuse dans Ma Circoncision (où non content d’imposer une opération sans anesthésie à son fils déjà grand, son père ne lui offre pas le Goldorak géant promis), elle est traitée ici avec infiniment plus de bienveillance, comme si, là encore, le temps avait permis à Sattouf de comprendre ce père au parcours pour le moins atypique et, pour le coup, de lui pardonner. Issu d’une famille pauvre de Syrie, le père de l’auteur, grâce à ses efforts et son intelligence, a obtenu une bourse pour étudier à Paris, puis un Doctorat en Histoire, avant d’aller enseigner en Libye et de retourner dans son pays d’origine. Sattouf le présente comme un partisan du pan-arabisme croyant dans les vertus de l’éducation pour tirer les peuples arabes de l’ignorance à laquelle lui-même a miraculeusement échappé. Pas facile d’être le fils d’un tel homme pour Riad Sattouf, enfant écartelé entre des cultures et des pulsions contradictoires, et qui, en plus, est à moitié Français par sa mère et a passé son enfance à faire des allers-retours entre la Bretagne profonde et des pays arabes au fonctionnement ubuesque et à la misère criante. Toujours extrêmement drôle mais moins cruel qu’a l’accoutumée, Sattouf évoque cette petite enfance peu ordinaire avec un luxe de détails hallucinant. Et si l’auteur a sans doute recueilli les souvenirs de ses proches, il met en scène un enfant vraisemblablement surdoué – brièvement scolarisé en maternelle en France, il a l’impression que les autres enfants sont idiots, et se résout à les imiter pour s’intégrer. Il est intéressant de noter que le dessin de Sattouf évolue pour l’occasion vers une rondeur qui s’apparente au style de Matt Groening, faisant peut-être écho à la bienveillance nouvelle du regard de l’auteur, aux antipodes de l’absence totale de complaisance qui caractérisait entre autres La Vie secrète des jeunes. Cette finesse d’observation alliée à cette bienveillance nouvelle évoque aussi René Goscinny, dont le regard sur la société française était sans doute enrichi par le recul qu’il pouvait avoir en tant qu’immigré. L’Arabe du futur est prévu en 3 volumes, et l’ensemble a de grandes chances de devenir un classique instantané.