Ce petit ovni constitue la rencontre de deux tempéraments bien trempés. D’un côté, les éditions Matière, glorieux kamikazes de la cause graphique et cornaquées par Laurent Bruel, promeuvent des oeuvres qui naviguent entre le post-humain (l’homme y occupe une place négligeable ou problématique) et l’arte povera (les moyens mis à disposition sont un semblant de cahier d’écolier et un noir et blanc ultra minimaliste). Matière a ainsi révélé en France Yûichi Yokoyama (Voyage, Travaux publics), génial inventeur de métropoles-Moloch et qui peuple ses villes de robots façon Kraftwerk. L’auteur a d’ailleurs eu les honneurs d’une rétrospective récente au Festival de bande dessinée d’Aix en Provence. De l’autre, Laurent Cilluffo, dont on a déjà dit beaucoup de bien à l’occasion de sa collaboration avec Fabrice Colin sur le projet World trade angels, brillante réflexion sur le 11 septembre et sur le hasard objectif dans la lignée d’un Donnie Darko. On avait surtout remarqué le trait géométrique et minutieux de Cilluffo, hommage à une ligne claire extrémiste et réminiscence des glorieux anciens (et oubliés) Petit-Roulet et Avril.

Avec ce New wanted, Cilluffo franchit toutefois une étape dans sa démarche radicale, un peu à la manière d’un Jochen Gerner avec TNT en Amérique. On y suit les aventures d’un ersatz de personnage, à peine esquissé, manifestement homme-sandwich portant fièrement une pancarte « New ». Cilluffo exploite à merveille l’absence totale de cases et de découpage prédéterminé pour laisser libre cours à une narration chaotique, tantôt verticale, tantôt horizontale, et surtout simultanée. Plusieurs actions se déroulent en effet en même temps sur la planche, ce qui permet des jeux en temps réel et offre l’illusion, malgré le blanc qui prédomine, d’une activité débordante (omniprésence des voitures, des bureaux, des immeubles). L’histoire n’offre en soi que peu d’intérêt. Pour des raisons obscures, « New » se retrouve fugitif et pourchassé par la police, et au cœur de toutes les réflexions de la cité, un peu à la manière de Peter Lorre dans M le Maudit. La démarche de Cilluffo est donc à suivre de très peu et suscite une interrogation dont on n’espère qu’elle ne sera pas trop écrasante pour l’intéressé. Et si la France avait trouvé là son Chris Ware en devenir ?