Il n’y a pas si longtemps, on vous aurait dit que l’on ne savait trop quoi penser des multiples clones générés par la « Sfar Academy », dont le précurseur, Tanquerelle (Professeur Bell), s’attachait à la construction d’un univers graphique aux codes parfaitement identifiables et confortables pour un lecteur installé dans de récentes certitudes (la BD, c’est hype, c’est cool et mieux : ça peut même être littéraire). Mais la maturité progressive à laquelle accède cette génération, à laquelle s’est rajouté depuis un trublion de taille (Riad Sattouf), semble indiquer que tout cela est décidément bienvenu pour une bande dessinée française à la recherche de maîtres à penser, d’idéologues qui permettraient d’inscrire la décennie écoulée comme l’âge d’or si longtemps soupçonné.

L’équivalents des Goscinny, Charlier ou Gotlib en somme, dont le rôle ne s’est pas limité à la seule création, mais qui ont joué volontiers les accoucheurs de talent au sein de support (revues, magazines) aujourd’hui dépassés. Hubert et Kerascoët (patronyme qui dissimule en fait deux dessinateurs, Marie Pommepuy et Sébastien Cosset) sont des exemples de ce que cette deuxième génération peut offrir de plus intéressant et de plus singulier dans le cadre du 48 pages cartonné-couleur : soit une fascinante propension à s’attacher à des personnages féminins (on espère la première bande dessinée pornographique du prolifique Joann), un basculement vers un univers très noir, dont le paradigme serait Les Ogres, hymne nietzschéen de David B. et Christophe Blain, et un goût baroque pour les trompe-l’oeil et les faux-semblants. Miss pas touche, qui a en outre le bon goût de ne pas dépasser le diptyque à l’heure où la tendance des séries à rallonge est redynamisée par le manga, propose donc des meurtres en série épouvantables dans le Paris des années 1930, une jeune fille au nom très cratyléen (Blanche) forcée de jouer les dominatrices dans un bordel pour trouver l’assassin de sa sœur, et une réalité encore plus abominable que ne le laissaient entendre les fausses pistes menées par l’héroïne. Alors bien sûr, le lecteur plus suffisant pourra tiquer sur ce dessin décidément sans grande surprise, ce cadre dramatique déjà exploré (remember le Dodo 13 ans, en présence de sa tante seulement de Levis et Leroi), voire sur le cynisme qui est déjà la marque de fabrique de cette génération. Mais que voulez-vous, c’est là ce que nous avons aujourd’hui de meilleur.