L’Ame du Kyudo n’est ni plus ni moins que les Jeux Olympiques dans le Japon du XVe siècle : à défaut de se faire la guerre, plusieurs clans se tirent la bourre dans une épreuve de tir à l’arc, avec pour enjeu la gloire à celui qui aura le meilleur champion. L’exercice en question, évidemment, est légèrement complexe. Mais ceux qui ne comprennent rien au sport retiendront qu’il suffit de décocher un grand nombre de flèches dans des conditions pénibles. Evidemment, contexte historique oblige, la tension est à son comble. Il faut dire qu’en cas de défaite, c’est le probable hara-kiri pour le participant. Voilà, grossièrement résumées, les lignes de cet épique récit de plus de quatre cents pages. Car ce qui compte, en définitive, n’est pas cette surface romanesque, mais la critique ouverte qui se niche en dessous, sur la vacuité du pouvoir, l’oppression des castes supérieures et de la difficulté, pour le peuple japonais, à se rebeller. A mesure que le héros apprend à tirer entre les obstacles, le lecteur, lui, creuse entre les lignes.

En réalité, Hiroshi Hirata s’insère dans cette interrogation du système féodal mise en place par le célèbre cinéaste Masaki Kobayashi, tout d’abord dans la trilogie La Condition de l’homme, puis surtout dans son Harakiri (Seppuku en v.o), Grand Prix du Festival de Cannes en 1963, qui contait la révolte d’un samouraï puis sa vengeance. Le guerrier médiéval nippon, nul le l’ignore, est le plus souvent dépeint comme une égérie. Sa figure gracieuse et délicate déploie, dans la mythologie médiévale, une virtuosité au maniement du sabre qui n’a d’égale que son charme, son éthique et la force de son esprit. Mais ce fantasme n’a pas cours chez Kobayashi, encore moins chez Hirata. Eux reviennent sur cette allégorie avec une peinture beaucoup plus naturaliste, et donc moins glorieuse. Leur patrie ne rayonne plus, le talent de ses soldats d’élite s’est éteint. Ils sont redevenus ces hordes de paysans haut de gamme, sans savoir-vivre, violents et inféodés sagement comme des chiens de garde à leur maître.

Mais comment être un héros lorsque l’on porte une laisse ? Eh bien il suffit de la couper. Voilà exactement le propos. Prendre le temps de mesurer sa condition d’esclave, puis s’en libérer, par la force s’il le faut. Un challenge que doit relever le héros de L’Ame du Kyudo, pris dans les rouages grippés de la hiérarchie féodale, condamnée à devenir un champion pour se faire pardonner le meurtre d’un gradé de haut rang. Mais voilà le paradoxe : alors qu’il se sacrifiait pour venger la mort autant idiote que sordide de son père (transpercé d’une flèche perdue, décochée depuis un terrain de tir installé en toute conscience, et avec mépris, à proximité d’un champ bondé de travailleurs), il se retrouve investi d’une mission encore plus idiote et sordide. Il franchit alors la ligne des castes et devient l’un des leurs, l’un des archers. Une position idéale pour changer le monde, mais encore faut-il une merveilleuse aventure, quelques rencontres exaltantes et une bonne dose de contrechamps dépeignant la misère sociale avec exactitude, avant de le réaliser.