« J’ai dix-huit jours, et I remember les grosses mouches noires et l’air tiède qui s’engouffre par les trous béants de l’hôpital ». Ainsi débute le nouvel album de Bilal, Le Sommeil du monstre, six ans après Froid équateur. Bilal prend son temps, et c’est heureux, car à chaque fois il nous surprend, nous déroute et nous émerveille. Son univers n’est jamais figé, son esthétique est en perpétuel mouvement ; ses personnages nous fascinent et nous glacent. Le cheminement, l’imaginaire, l’inventivité de Bilal ont quelque chose de confondant. Dans ce volume, on retrouve son monde déshumanisé, dans lequel ses héros se débattent face à une violence, une intolérence, un dénuement qui les poussent constamment à abandonner la partie et à se résigner. On est cependant en présence de quelque chose à quoi Bilal ne nous avait pas habitués. Une certaine confidence, une réflexion personnelle sur un drame qui se déroule encore sous nos yeux. Jusque-là, rien d’extraordinaire. Mais ce qui est plus étonnant, c’est qu’il nous dévoile, tout au long de l’album, une « intime déchirure », un regard à la fois clinique et passionnel sur la guerre civile yougoslave et plus généralement sur le déclin progressif du monde moderne. C’est un mélange de souvenirs diffus et de prophéties teintées d’un pessimisme noir.
Nike a dix-huit jours. Il est né sous les bombardements, dans un hôpital de Sarajevo, au milieu d’autres enfants tout autant abîmés et condamnés par ce berceau de mauvaise augure. Il est orphelin. Il s’appelle Nike, parce qu’un journaliste français, Jean Hatzfeld, l’a trouvé sur le cadavre d’un soldat chaussé d’une paire de Nike.Ces dix-huit jours représentent à eux seuls toute une vie. Tout est dit. Tout est joué d’avance. Par la suite, la vie n’est qu’une reconstitution de ces premiers moments enfouis dans un coin de notre mémoire sélective. Car ils existent, ces premiers dix-huit jours, et dictent la suite.
Le Sommeil du monstre, c’est le parcours de trois héros, Nike, Amir et Leyla, frères et sœurs de hasard, nés dans l’antre de l’effroi et du désespoir, cobayes de la folie humaine.