Dans une Italie où médias, art et politique -à la lisière de l’extrême droite- s’agglomèrent dans l’allégorie nauséabonde de Silvio Berlusconi, le jeune artiste Davidé Toffolo, en péril spirituel, trouve refuge auprès d’un Mr Pasolini étrangement ressuscité et réalise une suite d’interviews qui confinent au surnaturel.

« La mort n’est pas dans la non-communication mais dans le fait de ne plus pouvoir être compris », annonçait Pasolini dans son Empirismo eretico. Quelle clairvoyance pour un artiste dont le discours sera, après sa mort, l’outil des récupérations politiques les plus diverses, aussi bien à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche. Tantôt progressiste et sublime, tantôt populiste anti-moderne et religieux, nombreuses sont les personnalités publiques qui puisent aujourd’hui dans la vie et l’œuvre de Pasolini ce qu’elles souhaitent. Davidé Toffolo ne fait guère mieux en récupérant les morceaux épars pour se forger l’image du modèle qui lui convient (l’imaginant même quelques pages en auteur de bande dessinées). Il oblitère ainsi les éclats passéistes qui firent les beaux jours de l’extrême droite, ignore les élans religieux pourtant indissociables de l’oeuvre et de la figure pasolinienne, pour ne retenir que la position communiste et le poète rageur.

Ni plus ni moins décevant que ses pairs dans cette démarche forcément biaisée, Toffolo l’est en revanche dans les citations trop classiques qu’il choisit pour illustrer son hommage. Comment croire en la pertinence d’un regard s’il ne se pose que sur les fragments les plus académiques? C’est fondamentalement dans la démarche formelle, autofiction douloureuse, et intime, la quête de repères, que le récit trouve une grâce et une justification inattendue. Viscéralement, on y éprouve le besoin d’un père artistique ; désespérément, la recherche d’une étoile pour se frayer un chemin dans une Italie embourbée. Dès lors, la résurrection des icônes pour mieux les tuer à nouveau renvoie des échos dramatiques,l’autobiographie prend fermement le pas sur la biographie.

Si l’auteur échoue dans une reconstitution impartiale et béate d’un poète aux milles visages, il en préserve l’authentique rage de combattre l’ordre bourgeois, la haine du fascisme, et l’amour de l’indépendance dans la création. Dans la cannibalisation finale, l’auteur rend sa plus belle déclaration : la promesse d’inscrire son travail dans le sillon d’un homme qui n’eut de cesse de secouer son pays. Un remarquable engagement dont l’Italie a aujourd’hui bien besoin.