Lancée un peu lourdement sur le marché de la bande-dessinée à la fin des années 1990, la PME Donjon maintient un rythme de production effréné en totalisant pas moins d’une quinzaine d’albums en cinq ans d’exercice. Trop soutenu diront certains, voyant dans une manne possible des éditions Delcourt un simple concept indigeste et racoleur regorgeant de produits dérivés, la sous-série Donjon monsters en tête. Sous ses faux airs un peu vains et foncièrement aguicheurs de dream team de la « nouvelle bande-dessinée » (Blain, Menu, Mazan, entre autres, ont déjà officié sur les diverses séries de l’univers Donjon), la série portée par Joann Sfar et Lewis Trondheim, chefs de file de cette même « nouvelle bande-dessinée » (oh yeah) ne mérite pourtant pas tous ces sarcasmes. Du moins pas toujours.

Construite sur un principe roublard mais séduisant (raconter en une centaine d’albums et au travers de plusieurs « sous-séries » les riches -et moins riches- heures d’un donjon et de ses habitants), Donjon n’était pas menacé d’effondrement mais peinait, depuis quelques mois, à déjouer les règles de l’anecdotique. La cinquantaine de pages délivrée par Blutch, le brillant auteur de Peplum et du décalé Vitesse moderne, s’annonçait donc comme salutaire. Peut-être parce qu’il se construit sur une petite entorse à la (pénible ?) règle justifiant la sous-série (Monsters est en effet censée raconter une grande aventure d’un personnage secondaire du Donjon), Mon fils le tueur se révèle en effet être l’un des albums les plus intéressants de l’univers Donjon. Présentant, sur fond de complot et de sorcellerie de série B, la rencontre fondatrice de Hyacinte / La chemise de la nuit et de Marvin, ce septième volet de Monsters -qui avait fait l’objet d’une version en noir & blanc au printemps- s’inscrit en outre dans la « période » Donjon potron-minet, titre le plus abouti de la série.

Réussissant presque à faire de la cité médiévale Antipolis autre chose qu’une simple toile de fond, le trait charbonneux de Blutch plonge la série dans un univers rugueux et bancal dont on aimerait qu’elle ne se départisse plus. C’est également ce trait qui, peut-être plus que ceux de Blain ou Sfar auparavant, saisit enfin ces personnages inquiétants et ridicules dans ce qu’ils ont, malgré la légèreté du propos, de plus attachant.. Une certitude demeure pourtant tout au long de ces quarante huit pages, une certitude que n’estompe pas l’effort graphique de Blutch : Donjon reste avant tout la créature de Sfar et Trondheim. Il serait bienvenu qu’elle s’émancipe quelque peu de ces maîtres encombrants.