D’éternel indécis, Nishi est devenu indécis devant l’Eternel. Incapable d’avancer dans son métier de mangaka ou de déclarer sa flamme, loser tout sauf magnifique, il oublie qu’il végète en se réfugiant dans l’alcool et l’auto-dénigrement. Au mauvais endroit au mauvais moment, et voilà le pleutre abattu d’une balle bien placée, façon suppositoire. Découvrant devant le Juge Dernier cette ultime humiliation, Nishi se rebelle et prend enfin son destin en main. Car il n’est jamais trop tard.

Sortie en trois tomes au Japon, l’odyssée picaresque de Mind Game est éditée en un épais volume dans lequel le mangaka pastiche les codes établis (autobiographie, polar, shônen, tout y passe), avant de proposer une relecture flower-power du mythe de Jonas. Point de jardin à cultiver dans ce conte philosophique sous LSD, mais une morale résumée dès le titre : l’esprit n’est pas un poids accablant, mais un partenaire de jeu. Quel jeu ? La vie, évidemment.

Pour exprimer l’évolution de son avatar, Robin Nishi parsème Mind Game d’expérimentations graphiques, de plus en plus audacieuses et positives. Œuvre cathartique, le livre exhibe sans pudeur les angoisses profondes de son auteur : ses difficultés en amour, son inaptitude sociale, ses doutes quant à son talent…  S’imposant un challenge de narration graphique à chaque obstacle qu’il dresse sur la route de son héros/reflet, le dessinateur gagne à son tour en assurance. Aux questions qui le taraudent et qu’il met dans la bouche des autres personnages (« Tu ne sais pas faire la différence entre un artiste et un artisan »), il finit par trouver la réponse, qu’il fait répéter à son double dessiné tel un mantra : « Compréhension égale émotion ».

Les difficultés à s’intégrer, autre motif récurrent de Mind Game, disparaissent également peu à peu alors que Nishi comprend qu’il faut accepter le changement pour vivre. L’ancien adepte du point mort n’a de cesse de le répéter : « La vie, c’est l’évolution ». Quitte à devoir la provoquer soi-même en allant au-delà des codes établis du manga et du quotidien en général.

Foisonnant d’innovations narratives, Mind Game était le terreau idéal pour le réalisateur d’animation Masaaki Yuasa, adepte des expérimentations graphiques. C’est son long métrage sorti en 2004 (éd. Potemkine) qui a sorti de l’ombre la BD jusqu’ici confidentielle, même à l’intérieur du Japon. On découvre aujourd’hui la richesse et l’inventivité du manga original de Robin Nishi, sensiblement plus moderne que la majorité de la production actuelle.