Souvenez-vous : c’était il y a un peu plus d’un an. On vous parlait dans ces colonnes d’un des meilleurs albums de rap 2001 : The Best part, de J-Live, le secret le mieux gardé de Brooklyn, sorti à l’époque en vinyl white label, le music-business US n’ayant pas su faire mieux avec cet artiste rare. Combien sont-ils ceux qui auront pu se le procurer, et y apprécier le flow sûr de J-Live, sur des rythmes produits par Dj Premier, Prince Paul et Spinna (excusez du peu) ? Près de deux ans après l’enregistrement de cet album, un petit label de New York, Triple Threat, a décidé de donner enfin une sortie officielle à The Best part, augmenté de quelques titres, afin de limiter -un peu- les dégâts de cette nouvelle péripétie dans la triste et longue histoire des rapports tumultueux de l’industrie du disque avec le hip-hop. Et dans la foulée, Triple Threat double le coup avec ce All of the above, deuxième album du bonhomme, selon une stratégie commerciale dont il est néanmoins permis de douter de l’efficacité (vendre un disque hip-hop ne se situant pas dans la vulgate du moment est déjà difficile, alors deux…). C’est d’autant plus regrettable que, une fois encore, J-Live nous livre un album impeccable.

Rares sont aujourd’hui les LPs qui peuvent fièrement tenir la comparaison avec les premiers albums des Jungle Brothers, d’Eric B & Rakim ou, plus récemment, d’Organized Konfusion. Ce disque est de ceux-là. Sans jamais s’écarter de la ligne cool qui était déjà la sienne sur The Best part, J-Live évite les deux écueils des albums-fleuves (l’incohérence et l’uniformité), pour livrer en 21 titres une vision du hip-hop et du Mcing à des années-lumière des canons du rap 2002.

Naturellement, comme dans tout LP de rap qui se respecte, les amateurs trouveront de quoi hocher la tête : MCee, où J-Live réussit avec un loop de guitare à se montrer presque aussi entraînant que le Rock de son pote Spinna, All in together now (« just feel good music », dit J-Live dans ses notes de pochette), All of the above et ses claviers electro-jazz délicatement ornés de scratches ou The Lyricist, qui rappelle presque un morceau de Jazzy Jeff & The Fresh Prince de la grande époque. On aura toutefois du mal à ranger cet album dans le même rayon que les CDs de Sir-Mix-A-Lot : à l’image de sa pochette en clair-obscur bleuté façon Blue Note vintage, ce disque est d’abord une introspection méditative dans l’esprit et la vie d’un Mc exigeant : J-Live y alterne confessions personnelles (Like this Anna, message personnel à une certaine… Anna, Nights like this, digression sur l’amitié, The 4th 3rd, sur les difficultés des couples interreligieux qu’il a lui-même expérimentées) et développements plus « hiphopo-centrés » (les wack-ass Mcs se voient régler leur compte deux fois, sur All in together now puis sur 3 out of 7 ou J est rejoint par El Da Sensei et Asheru, sans parler des limpides MCee et The Lyricist), sur des productions laidback signés par lui, par DJ Spinna et par Joe Money.

Tout au plus pourra-t-on regretter, comme sur The Best part, que dans sa nonchalance jazzy, J-Live n’évite pas toujours l’amollissement sonore (ainsi Satisfied, essai de reggae pas vraiment transformé). C’est heureusement l’exception. Tout le reste est à l’image de ce quatorzième titre du LP, le bien-nommé Travelling music : des morceaux qui vous prennent par la main, doucement mais fermement, pour vous faire partager la passion de J-Live : le hip-hop.