Après Francis Bebey, Chacha Guitry, Clothilde ou François de Roubaix (pour la réédition en 7’ de sa bande son pour les « Cristaux Liquides » de Jean Painlevé), le toujours éclectique label Born Bad, exhume, par l’entremise des diggers Alexis Le Tan et Jess (déjà responsables des deux très belles compilations Space Oddities chez Permanent Vacation), une figure culte, et donc relativement obscure, de l’illustration sonore des années 1970, Jean-Pierre Decerf. Entre space-rock et musiques électroniques, cet autodidacte, plutôt versé au départ dans le rock psyché (Pretty Things, Pink Floyd, Them) ou progressif (King Crimson, Asia, Yes, comme il le révèle dans l’interview parue sur le site du label ) s’est dirigé, dans les années 1970, grâce à son père qui travaillait dans le cinéma, vers l’illustration sonore, aux côtés d’autres expérimentateurs de la musique à l’image (Claude Perraudin, Roland Boquet, Jean-Jacques Perrey, François de Roubaix, Bernard Fèvre, alias Black Devil Disco Club), qui mélangeaient eux aussi instruments électro-acoustiques et nouvelles sonorités électroniques, dans le sillage, plus pop et commercial, des recherches de Pierre Henry et Pierre Schaeffer pour le GRM.

Le multi-samplé Jean-Pierre Decerf a ainsi composé, avec des moyens assez rudimentaires (il enregistrait les bases de ses morceaux sur son 4 pistes pour les amener ensuite en studio) une vingtaine d’albums d’illustrations sonores aux pochettes génériques (Out of the way, Magical Ring, Keys of the Future, Pulsations, More and More…), sur des labels dédiés aux BO de films et d’illustrations sonores (CAM, Patchwork, Pema Music, Editions Montparnasse 2000), avec une fascination particulière pour l’astronomie et les voyages interstellaires, entre Jean-Michel Jarre et le Magic Fly de Space. Cette compilation recèle sans doute les meilleurs titres de Decerf, dont le légendaire Black Safari, co-composé avec son copain Giorgio Zadj, s’ouvrant sur un collage de cris d’animaux (réels ou simulés, on ne sait plus trop), déroulant ensuite une drum-machine que n’aurait pas renié Raymond Scott, ajoutant orgues et guitares dans ses maigres interstices, entre poupée mécanique hystérique et safari extra-terrestre. Une vision. D’autres pépites, plus planantes, déroulant des paysages fantastiques,  (Surrounding Seas, Blazing Skyline) dans la lignée d’Alain Goraguer (La planète sauvage) ou de De Roubaix (La scoumoune), auront clairement marquées la modernité électronique, de Air à Egyptology.

Certains titres (le très barré Leavin my place, , entre soul-funk et pop 60’s anglaise, ou le très chargé Gates of pop empire, avec ses solis fous de guitares acoustiques) résistent moins bien au passage du temps, et le mix entre synthétiseurs plein de médium et bongos dans les coins, ou les guitares à la Clapton dégoulinantes, titillent bien parfois les nerfs, mais au final, le sentiment de nostalgie rétro-futuriste (hé oui, vieille antienne) fonctionne à plein, entre clichés de l’espace et avant-garde sépia. Et en vinyl, la pochette de l’incontournable La Boca dilate bien les pupilles.