Un vieux dicton bazinien disait, en substance, qu’un film était toujours un documentaire sur ses comédiens. Ce qui peut rendre une oeuvre passionnante peut également grever celle-ci d’un lourd tribut dont elle ne pourra pas se remettre. Prenons le cas de L’Homme de chevet, qui met en avant son couple star : Sophie Marceau et Christophe Lambert. Près de trente ans qu’on les connaît, ces deux-là. D’un côté, l’ex-Vic de La Boum devenue fiancée de Belphégor puis maman de Lol… De l’autre, notre immortel homme-singe propulsé chevalier Beowulf et copain des lapins depuis Le Lièvre de Vatanen. Ainsi jetés à l’écran, les personnages ne peuvent plus guère exister, laissant place à des carrières accolées à des visages aujourd’hui un peu vieillis, des successions de rendez-vous ratés avec l’histoire de cinéma. D’une certaine manière, c’est presque le sujet du mélodrame d’Alain Monne qui fait, en vain, tout ce qu’il peut pour rendre crédible cette histoire de deux paumés à la Olivier Adam – L’Homme de chevet bien ne t’en fais pas, en quelque sorte…

D’un côté, on a le droit à une sorte de Mar adentro en Colombie, avec une Sophie paralytique, qui passe sont temps à bouquiner des livres de la Blanche ou de chez Minuit -même si on la surprend, lors d’un plan, à feuilleter la bio d’Elisabeth Taylor… Il faut donc lui faire la cuisine, la laver, s’occuper de ses moindres besoins mais aussi supporter sa mauvaise humeur et ses mots orduriers, dignes de Robert Hossein dans La Disparue de Deauville (on en revient toujours à La Disparue de Deauville). Lorsque son kiné, sosie de Gérard Hernandez, vient s’occuper d’elle, elle trouve un peu de bonheur à son existence alitée et chante avec lui du Piaf. Mais ces quelques fugaces instants de plaisir ne durent pas, et lui laissent imaginer le pire. Notre Sophie choisit de faire appel à un aide-soignant, Léo, campé par notre bon Tof, dont les chemises semblent sorties des soldes de presse Parker Lewis. Quant à sa tignasse filasse en pétard – doublée d’une barbe de six jours -, elle s’inscrit dans la longue série des désastres capillaires de l’acteur, qui semble s’être engagé dans une compétition avec Nicholas Cage, Bruce Willis et Samuel L. Jackson. Bon, au début, le bon Léo n’assure guère et se sent gêné par l’intimité avec son employeuse, encore sexy – notamment lorsqu’il doit la faire uriner. Reparlons cinéma, un instant : une telle scène pourrait être magnifique, dans le trouble qu’elle provoque ; hélas, à ce moment-là, on voit juste des mains faire des « guilis » sur un ventre, et c’est grotesque. Parenthèse fermée. Aussi, lorsque Sophie demande à Christophe de lui faire la lecture, lui bredouille maladroitement du Bukowski et avoue qu’il ne comprend pas ce qu’il lit, le spectateur applique à la lettre la réplique, trouvant là une raison plausible aux choix filmographiques de monsieur Highlander…

A cela se superpose une deuxième trame – c’est la partie Million dollar baby de L’Homme de chevet. On apprend ainsi que Christophe n’est autre qu’un ex-champion de boxe devenu alcoolique qui, en guise de rédemption, va coacher une jeune cogneuse du cru – par ailleurs pute à 100 dollars (on conseillera, sur une trame proche, le beau roman de David Fauquemberg, Mal tiempo). Malheureusement, on pense ici moins au chef-d’oeuvre d’Eastwood qu’à Dans les cordes avec Richard Anconina, vieux complice de Lambert notamment dans Hercule et Sherlock (on en revient aussi toujours à Hercule à Sherlock).

Dès lors, Alain Monne (dont c’est le premier long-métrage en tant que réalisateur) tente de mettre un peu de psychologie (nous fuyons tous nos fantômes et sommes tous drogués à quelque chose) et soigne les seconds rôles, entre quelques plans touristiques ou apartés décalées – ah, Lambert qui fait le poirier… Mais le soufflé retombe dès que Sophie et Christophe s’avèrent réunis dans le même plan, peu aidés par des dialogues patauds (« vous êtes un « romanticon »… Ahahaha). On citera notamment un travelling latéral avec fond musical en cordes qui aimerait citer la fin d’In the mood for love mais qui se révèle, in fine, un pâle décalque d’un fameux clip de Stéphane Eicher. Malgré tout, on doit confier une sympathie coupable pour L’Homme de chevet. Oui, on l’aime bien, certes pas pour les bonnes raisons, mais pour ce que ce film pataud et désespérément sympathique délivre : un bilan de santé, pas si mauvais, de deux cabossés du cinéma désespérément en quête de leur Wrestler.