Direction Musicale : Mark Elder
Mise en scène : Robert Carsen
Lohengrin : Gösta Winbergh ; Elsa von Brabant : Susan Anthony ;
Heinrich der Vogler : Alfred Muff ; Friedrich von Telramund : Sergei Leiferkus ;
Ortrud : Waltraud Meier ; Der Heerrufer des Königs : Michael Volle

Orson Welles, dans une conférence en 1938, déclarait : « Le metteur en scène est une institution nouvelle au théâtre. (…) L’homme en question a atteint un prestige qui ne correspond pas à son statut réel, et occupe dans notre conversation et dans la critique théâtrale une place tout à fait abusive. (…) Qu’un homme manipule les fils d’une poupée ou qu’un autre exécute lui-même les gestes d’un homme civilisé, pour qu’il y ait théâtre, il faut un comédien sur l’estrade. (…) La pièce reste l’essentiel. ». De tels propos dans la bouche d’un des plus grands metteurs en scène et réalisateurs surprennent, mais il apparaît d’autant mieux la notion d’auteur : il y a avant tout le « compositeur » puis les interprètes et enfin le metteur en scène. Et bien on fera de même pour parler de cette production de Lohengrin.

Lohengrin est un des drames wagnériens les plus mystérieux et des plus pessimistes disait Michel Pazdro. L’histoire en effet ne compte que peu de moments de bonheur si ce n’est les cris de joie du peuple Brabant (quelque part vers la Belgique au 10e siècle) devant Lohengrin l’unificateur, fils de Parsifal, envoyé du Saint Graal ; Wagner utilise ainsi au mieux les chœurs, comme ferment de communion nationale et musicale (on ne s’attardera jamais assez sur l’écriture des chœurs chez Wagner, tellement essentielle). Je ne m’attarderai pas sur l’histoire en elle-même, mais ferai juste valoir à quel point me semble importante la relation Friedrich-Ortrud et l’opposition Lohengrin-Ortrud. Le premier couple pourrait faire penser à celui de Shakespeare, Macbecth-Lady Macbeth (tiens, revoilà Welles et sa mise en scène de Macbeth qui a exactement les mêmes qualités que ce Lohengrin : les décors ne nous intéressent pas, c’est l’auteur et les interprètes qui priment), à travers la puissance magique et maléfique que possède Ortrud sur son mari. De plus, elle apparaît comme son âme damnée, de même que la créature des Enfers, tandis que Lohengrin est l’envoyé de Dieu. Quelle terreur quand elle invoque les Dieux païens ! Enfin, on a coutume de dire qu’il s’agit d’un des opéras de transition dans la création wagnérienne. En effet, il y a encore les traces de l’opéra romantique allemand et pourtant Wagner met déjà en place sa technique d’écriture du Drame musical, invention wagnérienne par excellence qui vise à l’union de la poésie et de la musique (comme dans la tragédie grecque). Ici, il systématise déjà son jeu des tonalités et de ses modulations par rapport à l’action, de même que son utilisation des leitmotivs.

Venons-en à la représentation elle-même et à ses interprètes. C’était une réussite exemplaire. Dès le Prélude, thème du Graal qui a fait écrire à Baudelaire : « Je me souviens que, dès les premières mesures, je subis une de ces impressions heureuses que presque tous les hommes imaginatifs ont connues, par le rêve, dans le sommeil », l’auditeur est saisi (si ce n’est le bruit des retardataires et des tousseurs pris par surprise). Cela sonne juste. L’Orchestre de l’Opéra a pu démontrer sa grande qualité, notamment par la densité des cordes et par la volonté des cuivres de ne pas jouer à moitié. Les chœurs s’investissent, on regrettera juste leurs débuts ratés dans le 2e acte. Le chef tient tout de bout en bout. Friedrich a une tenue remarquable, chose pas évidente face à une Ortrud absolument géniale, et qui a mérité son ovation. Lohengrin ne ressemble pas à un chat égorgé, ses aigus sont doux, Elsa (qui n’est pas aidée par ses costumes de concierge) arrive à émouvoir dans son air du balcon par sa grâce vocale. Bref, il s’agissait d’une grande distribution, et qui a réussi à tirer vers elle la couverture, éclipsant ainsi la mise en scène inintéressante de Carsen.