Alors que ressort un volumineux coffret des années Barclay, ce même label a eu l’idée d’honorer le 10e anniversaire de la disparition du poète anarchiste, un 14 juillet ironique, par une compilation où se bousculent autant d’enfants spirituels institutionnels (Higelin, Lavilliers) que de rejetons issus d’une génération spontanée (Les Hurleurs, Katerine). Cette sélection mélange habilement les incontournables de Ferré (Avec le temps, Jolie môme) et des titres plus souterrains (Si tu t’en vas, Mon camarade) qui rendent justice à une discographie dont deux ou trois arbres emblématiques cachent une forêt restée trop peu défrichée.

Le disque s’ouvre sur la plus grande réussite de l’album, à savoir la relecture de Mon camarade par un Dominique A quittant les thématiques qui lui sont habituelles pour s’approprier, avec un enthousiasme non feint, cette ode à l’amitié virile et bohème. A la différence d’autres voisins de compilation, on sait que Dominique n’est pas à franchement parler un admirateur de Ferré mais qu’il a choisi ce titre car son père le lui chantait lorsqu’il était enfant : sa distance avec l’oeuvre lui permet peut-être de s’y sentir libre, avec sa propre respiration. A contrario, les fervents admirateurs que sont Higelin ou Lavilliers exécutent leur reprise avec une fidélité sans doute sclérosante : Jacques Higelin, qui a souvent interprété Jolie môme sur scène, ressert le même plat ici dans une version sans relief, simplement agréable, tandis que Bernard Lavilliers s’attaque au monument La Mémoire et la mer pour en rendre une version si décalquée qu’elle ne laisse que l’impression douteuse de la photocopie, au-delà des beaux arrangements signés David Whitaker.

Finalement, ce sont les plus jeunes générations qui semblent le plus en symbiose avec l’esprit insurrectionnel qui parcourt toute l’oeuvre de Ferré : les Dionysos commettent une version enflammée de Thank you Satan qui donnent un aperçu de ce que ce groupe pourrait réaliser en s’appuyant sur de véritables textes. Les Hurleurs, qui mériteraient d’être plus connus tant leur dernier opus est aussi brillant qu’ignoré, confirment tout le bien que l’on pouvait penser d’eux en exhumant Si tu t’en vas pour un grand moment de tension et de spleen dont ils ont eu le bon goût de soustraire l’emphase qui rebute parfois sur les versions originales. Philippe Katerine, qui aurait eu l’air incongru il y a encore peu du côté de chez Ferré, peut tout se permettre depuis sa transformation en homme à trois mains, et son interprétation de L’Eté 68 semble si naturelle qu’elle ne dépareillerait pas au sein de ses productions récentes : même poésie surréaliste, même désir de s’émanciper des formats les plus courants, mêmes tentations orchestrales… Manque d’inspiration ou décision régalienne de la maison de disque, Noir Désir a ressorti sa mise en musique du poème Des armes que l’ont trouvait déjà sur Des visages, des figures et qui pourrait être une outtake crédible de l’album La Solitude, où Ferré s’était adjoint les services du médiocre groupe pop Zoo, pour un résultat aux relents par trop seventies à notre goût mais que d’autres trouveront sans doute séduisants. De son côté, Brigitte Fontaine, sur Ame, te souvient-il ?, insuffle à la complainte des parfums arabisant qui donnent un air d’ailleurs au poème de Verlaine, tandis que Bashung, choisissant la difficulté en entreprenant l’inoxydable Avec le temps, transforme l’essai avec un enrobage reggae déglingué qui surprend mais emporte finalement l’adhésion.

Bien sûr, pas de Tribute sans écueils : à commencer par Eiffel, qui reprend le très moyen et daté Le Conditionnel de variété qui devient alors anachronique et vain dans son incarnation 2003. Miossec, lui, s’attaque à O triste était mon âme dont l’orchestration subtile ne met que trop en avant ses propres limites vocales. C’est Tue-Loup qui assure la vraie plantade avec une interprétation irrévocablement ridicule de La Solitude, mais qui a le mérite de démontrer à quel point l’oeuvre de Ferré reste inféodée à son auteur et, de ce fait, pourquoi, à la différence d’un Brel ou d’un Brassens -incessamment cités et honorés- Léo Ferré n’a pas le même impact posthume et reste largement méconnu en dehors de quelques titres écran. A tout le moins, on souhaite surtout que cette mise en bouche globalement réussie donne envie au néophyte d’emprunter la voie Ferré.