Saafir est un des rappeurs américain en activité les plus sous-estimés de la planète rapologique. Tandis que ses compères Raskass (qui vient de se faire allonger par The Game) et X-Zibit (proche de Dre et animateur de l’émission Pimp my ride sur MTV) sont plus souvent cités que lui, il vaque à ses occupations aléatoires, passant de la rue à la Mosquée en un claquement d’idiome. Connu pour ses oisivetés cultes au sein de feu Hobo Junction (écoutez The Junction, au moins une fois), Saafir a un parcours en dents d’égoïne, une voix éraflée et ondoyante, un charisme naturel, une facilité d’adaptation aux beats comme nul autre.

Du côté de Los Angeles, les viviers de l’underground ont toujours de bons piliers qui n’attendent que leur tour pour percer la gueule du monde (Ellay Khule, Mykah 9, Existereo, RadioInactive), demeurant aux côtés des gros pontes qui assurent le cash flow (X-Zibit donc, mais surtout Snoop, Dre, The Game ou encore Ice Cube). Saafir, lui, a le cul entre deux sièges. Ce rappeur unique ressort de l’ombre en 2007, bénéficiant d’une signature chez le prestigieux ABB Records, label ayant auparavant accueilli les plumes de MHZ, Dilated Peoples, Defari, Evidence, 427, Planet Asia, A.G ou encore Souls of Mischief. Plus synthétique que ses travaux antécédents, Good game the transition ondule entre décharges hypnotiques (le mini-tube Cash me out) et bombes épileptiques (le très bouncy Crispy). Sans égaler ses précédents morceaux cultes (Killen kydz, Light sleeper, Battle drill…), la gamme que forme cet album est jeune et déviante, posée mais égarée, à l’image de son géniteur. Cette belle surprise accouche d’un résultat éloigné de ses premiers travaux, qu’il ne faut surtout pas ignorer.

Rappeur hors normes, producteur, acteur, homme d’affaires, il est la tête du groupe / label Hobo Junction, connu sous le nom de Children Of Destiny, lié à vie au Golden State Project, qui regroupe évidemment Raskass et X-Zibit, le destin de Saafir est improbable, gravite des montagnes russes et dort sur des bancs de poison. Connu pour son style « off-beat-on-beat », ses battles furieuses (notamment celle contre Casual des Hyeroglyphics), ce rappeur à géométrie plurielle mérite plus de reconnaissance… « J’ai enregistré mon album à Oakland, dans ma ville natale. C’est une sorte de testament de mon évolution. Le titre In my own words résume bien mon état d’esprit : « If u worship money you’re a non believer ». Et c’est ce que j’étais avant. Un kafir, un « non-believer ». J’étais dans la merde. Mais il n’est jamais trop tard pour la rédemption ». Converti à la religion musulmane, il continue aujourd’hui de bosser avec les grands (Shock-G des Digital Underground ou Josef Leimberg, ghost-producteur pour Snoop et G-Unit, entre autres), sans se soucier de la hype et de ses contrecoups souvent mouvementés. Son projet Three-Card-Molly aka Golden State Warriors est gorgé de belles vues et son flow n’a toujours pas pris une ride. Mais son adaptation aux nouvelles textures synthétiques aurait cependant mérité quelques écarts moins routiniers, quelques audaces que seule sa voix arrive ici à faire cabrioler, usant d’une sémantique toujours en mouvement (« I’m tired of these, niggaz that’s lightweights in the ring and think fame can save ’em, but rap like they wired to the knees. Two inch snitches make up fifty percent of niggaz spittin bullshit. Claimin to be riders and G’s, you know this (fuck ’em). When he wrote this shit, he lightweight soaked in the feeling of hopelessness but he knows he spits and he knows he fits on Mt. Rushmore. His space is big face to taste and eat and replace the weak over saucy beats with heat / That stay deep in the game / Underwater rhymes like brrr, brrr. Sizzlean is the name, the sign of the time, the game or the grind. Now how nobody shit the same as mine, nigga cash me out !!! » sur Cash me out). Cette vie en forme de kaléidoscope est à l’image de son concepteur, de cet album trouble mais intéressant, irrégulier mais captivant. Vraiment, une belle surprise.