En attendant les grosses sorties de la rentrée, à commencer par les albums de Missy Eliott et de Kanye West ces jours-ci, on va terminer cette saison hip-hop 2004-2005 relativement atone (si l’on excepte les braillements jouissifs du crunk) par la dernière sortie du label le plus consistant et le plus cohérent de ces derniers mois, Stonesthrow. Avec ce premier LP de MED (que l’on avait croisé autrefois sous le nom de Medaphoar sur quelques maxis et en guest ici ou là chez ses potes Lootpack ou Quasimoto), la petite épicerie de funk / rap cannabique de Peanut Butter Wolf démontre une nouvelle fois qu’elle demeure l’une des rares échoppes hip-hop à savoir plaire à la fois aux back-packers troglodytes qu’enthousiasme le bohémianisme prolifique de Madlib, aux crate-diggers maniaques que soigne Egon et ses compilations soignées de deep funk millésimé et aux fans de rap mainstream auquel le label sait servir leur ration de mélodies et de refrains faciles à reprendre. Pas sur The Further adventures of Lord Quas, bien sûr, mais certainement sur ce Push comes to shove bien plus sage mais pas moins digne d’intérêt.

Car si MED s’inscrit dans cette école exigeante de Mcs amoureux de leur art qui s’est déployée sur la Côte Ouest, de L.A. à Frisco, à la suite des Grands Anciens les Freestyle Fellowship, il ne se dégage pas de son album cette vague impression d’ennui qu’exhalent tant de disques de cette école (réécoutez-vous souvent vos albums de Rasco, de Defari ou de Rass Kass ?). Pourtant, le flow légèrement voilé de MED, s’il sert parfaitement ses rimes méticuleusement travaillées, n’est ni meilleur, ni plus original que celui de ses pairs de la Left Coast alternative. Il n’a ni le côté abrasif d’un Doom ou d’un Kool Keith, ni la maîtrise tranquille d’un Jaÿ-Z ou d’un Nas, tout ce qui fait que ces rappers-là, eux, ne sont pas que des grands techniciens, appréciés des seuls puristes de la rime ; mais aussi des artistes capables d’entraîner tout un dance-floor par la seule force de leur voix.

MED n’en est peut-être pas là mais, bien aidé par ses producteurs (l’omni-présent Madlib, évidemment, Oh No -si ce n’est lui, c’est donc son frère… -, l’ami de la famille Jay-Dee et, pour un titre, un Just Blaze qu’on n’imaginait guère frayer de ce côté-ci du hip-hop US), il arrive à proposer sur les 18 titres de son album une large variété de paysages sonores qui donne envie d’y revenir. Le paradoxe étant que, alors que Stonesthrow est réputé pour l’originalité de ses sons, les meilleurs morceaux sont ici ceux qui se rapprochent le plus des canons du hip-hop commercial de l’époque. Ainsi, loin du funk transpirant qu’on affectionne habituellement chez Peanut Butter Wolf, ce sont les deux missiles purement synthétiques produits respectivement par J. Dilla (Push et ses halètements électroniques) et par Just Blaze (Get back, si rêche qu’on le jugerait tombé du camion des Ruff Ryders) qui constituent les deux incontestables sommets de l’album.

Et c’est quand Madlib s’essaye lui aussi, à la Kanye, aux samples soul pitchés qu’il se montre le plus convaincant, comme sur Can’t hold (où il agrémente ses échantillons vintage d’un clavier sautillant, d’une basse funky à souhait et d’une impeccable mélodie aérienne) et, à moindre titre, sur ce Never give you up rehaussé d’un bouillonnement synthétique du meilleur aloi. Car pour le reste, ses productions ne tranchent guère, embrumées dans leur fumée cannabique (comme à son habitude, Madlib a farci l’album d’interludes « comiques » dédiés à sa passion pour Mary-Jane) et répétitives à l’excès (voir les boucles en roue libre de Special ou de Pressure). On retrouve aussi ici ou là ce trait caractéristique de son génie brouillon et dispersé, que l’on avait déjà noté dans son travail sur l’album de Wildchild : cette capacité à proposer sur quelques secondes, à la fin ou à l’intérieur même d’un titre, une idée complètement neuve, dont on rêverait qu’il fasse un morceau entier. Reportez-vous aux glaçants claviers johncarpenteriens qui concluent Yeah, l’avant-dernier morceau de Push comes to shove pour comprendre.