Joe Hisaishi est un compositeur heureux, il travaille avec les deux plus grands cinéastes japonais actuels, Takeshi Kitano bien sûr, mais aussi l’extraordinaire « Disney nippon » Miyazaki. Fait assez rare dans l’histoire du cinéma, la musique de Hisaishi est désormais indissociable des films de deux auteurs aux univers pourtant très différents. Et que ce soit pour illustrer les polars mélancolico-burlesques de Kitano ou les longs métrages d’animation bucoliques de Miyazaki, Hisaishi reste fidèle à lui-même et immédiatement reconnaissable. Toujours porté sur son péché mignon, les mélodies mélo et enfantines, Hisaishi nous dévoile avec Mon voisin Totoro et Princesse Mononoké deux facettes de son savoir-faire et de son talent.

La bande originale de Totoro, plus minimaliste et plus enjouée, mélange savamment instruments acoustiques et électroniques pour souligner l’aspect comique et bon enfant de ce petit conte écologique. Fanfares synthétiques, cuivres empesés et « chansonnettes japoniaises » (voir l’hilarante comptine du générique du début) cèdent toutefois la place aux mélodies plus classiques gorgées de violons sanglotants pour les quelques -rares- moments dramatiques ou contemplatifs du film. On retiendra surtout le morceau accompagnant l’arrivée des deux petites filles à la campagne, qui n’est pas sans rappeler les envolées lyrico-pionnières d’un Van Dyke Parks (qu’on retrouve aussi dans l’épisode final du Chat-Bus) et la magnifique chanson L’Enfant perdu. Pour les scènes d’inspiration onirique ou fantastique, Hisaishi se lance dans d’improbables collages électroniques avant-gardistes (l’épisode dit des « boules de suie ») et bruitistes, à la manière de Philip Glass, avec parfois une légère pointe de folklorique pour un film somme toute d’obédience relativement shintoïste.

Une obédience nettement plus marquée dans Princesse Mononoké, le chef-d’œuvre de Miyazaki, situé en plein Japon médiéval, nourri de légendes naturalistes et des propres obsessions de son auteur -un écologisme lucide sur la violence de la nature et dénué de toute niaiserie. Le travail de Hisaishi y est nettement plus conséquent -le film dure plus de deux heures-, plus cohérent et plus classique, finalement. Mais si on frôle parfois le modèle impérialiste hollywoodien à la John Williams, Hisaishi sait rester sur le fil du rasoir et conserver sa personnalité. Plus difficile à apprécier sans son support visuel, la musique de Princesse Mononoké fait pourtant remonter à nos esprits les souvenirs des paysages grandioses du film, de grandes vallées verdoyantes et d’immenses forêts impénétrables. Principalement composée de grandes envolées lyriques et tire-larmes, la bande-son de Mononoké reprend toutefois une partie du système de Totoro.

Logique, les deux films reprennent, l’un sur un mode apaisé, l’autre sur un mode violent et épique, le même thème de l’antagonisme entre l’homme et la nature. Ainsi, Hisaishi se permet une nouvelle fois, à de plus rares occasions, des compositions électroniques bizarroïdes, pour illustrer les moments du film les plus oniriques (l’apparition des Kodama, « esprits des arbres »). Mais l’ambiance générale se partage entre grandes compositions orchestrales (avec une fois de plus, une prépondérance des cuivres, cette fois-ci, nettement plus inquiétants) et saillies folklo-historiques (la chanson traditionaliste des femmes Tatara). Moins libre et diversifiée que celle de Totoro, la musique de Mononoké est nettement plus émotionnelle et regorge de petits bijoux mélodiques et romanesques.
Deux bandes originales différentes à la première écoute, mais finalement très semblables dans leurs arrangements et leur manière sensible d’illustrer les diverses émotions offertes par les deux plus grands longs métrages d’animation japonaise de la décennie.