L’intérêt de ce conte est évident. Son auteur veut divertir (avec toute la violence que peut comporter le divertissement, c’est-à-dire en appuyant sur certaines zones d’ombre de l’esprit humain et de son corps). Il y parvient sans mal. Car il n’emploie pas les clichés propres à la langue mais utilise des paroles malicieuses, tirées de-ci de-là de classiques fréquentables, ou provenant plus simplement de son imaginaire débridé. Cette hardiesse rappelle celle des maîtres de musique. Justement, Pierre Senges est musicien. Il sait tenir une note sur plus de deux cents pages, quand bien même son sujet se résume en peu de mots : un homme s’acoquine avec six veuves homicides pour organiser sa propre mort. Mais l’échec est total, chacune d’elles se refusant à la récidive. D’autres périls l’attendent. Une autre vérité, plus paradoxale, voit le jour au fil du temps. Loin d’être effrayé par ces déviances, notre héros se laissera bercer par cet apprentissage. Le programme est fixé : « ôter la moitié d’un tout, puis la moitié de son reste, et ainsi de suite, est une activité sans fin qui conduit, pour peu qu’on ait de la patience et un certain amour aigu de l’infime, à l’éternité ».

Tout doit disparaître. La cendre retourner à la cendre. Pas dupe, soucieux du détail comme peut l’être un miniaturiste, Pierre Senges évite toute mythification dans ces pages écrites pour déjouer les impostures : « toutes les formes d’injure et de blasphèmes, toutes les formes de provocation, sont (…) des versions humanisées de la parade, ou la version affadie des danses nuptiales, c’est-à-dire une façon de se servir de son corps -langue tirée, doigt tendu… » Ce jeune écrivain qui a profondément le désir de déplaire (« il n’est question ici que de contrarier l’opinion commune ») nous plaît bien. Ses Veuves au maquillage ne seront pas du goût de tous. C’est un signe. Finissons-en : cette notule de gare ne saurait bien sûr rendre compte avec plénitude, et complètement, de la richesse et du foisonnement d’un tel livre. Y sont brassées de multiples données : musicologie, mathématique, politique, anatomie, zoologie. Le tout orchestré en un formidable « leurre ». Il est des plaisirs qu’on ne saurait bouder : celui de partager, par cette lecture, la cruauté de son auteur envers ses contemporains en est un.