Ceux qu’incommode la canicule estivale trouveront un bien agréable refuge dans l’œuvre du Danois Jorn Riel, ce merveilleux conteur dont les éditions Gaïa importent depuis plusieurs années la délicieuse production et dont deux tomes d’une brève trilogie viennent de paraître en poche. Ses livres les plus célèbres sont sans aucun doute les six volumes de racontars qu’il a ramenés du Groenland, fictions brèves où, d’un ton badin susceptible de dégivrer les plus désabusés des lecteurs, il narre les hilarantes aventures d’une bande de trappeurs groènlandais, aventuriers fanfarons, hâbleurs, bavards et truculents, d’un caractère solide qu’exprime un langage richement imagé. Fils du coiffeur officiel de la cour royale du Danemark, ce natif de Copenhague passa sa jeunesse pendu aux lèvres de Rasmunsen et Freuchen, pionniers scandinaves des expéditions arctiques ; en 1950, peu avant son vingtième anniversaire, il part finalement à son tour avec le docteur Lauge Koch pour jeter un œil sur le pays. Il n’en repartira que seize ans plus tard, avec dans sa besace la matière première de la bonne vingtaine de livres qu’il publiera ensuite.

Outre ces hilarants recueils de racontars, Riel est aussi l’auteur d’une ambitieuse fresque ethnologique et romanesque, cycle en trois volets indépendants dépeignant le peuplement inuit (Le Chant pour celui qui désire vivre, traduit chez Gaïa), d’un roman qui lui valut quelques prix littéraires (Le Jour avant le lendemain) et de la splendide trilogie qui nous occupe aujourd’hui avec la reprise en poche de ses deux premiers volumes. La Maison de mes pères, c’est l’enfance, l’adolescence et les découvertes (notamment amoureuses) d’un jeune métis eskimo, Agojaraq, dont on suit les tribulations au sein d’une petite galerie de personnages parmi lesquels, outre sa vieille et attachante nourrice, ses cinq pères possibles (on n’a jamais vraiment su lequel était le bon). Dans ce grand Nord canadien pittoresque et rempli de tous les mythes grandioses et légendes farfelues qui font le charme de l’univers de Jorn Riel passera toute une série de héros paumés ou magnifiques, sources de joies et d’anecdotes jamais épuisées : un cuisinier français cherchant de nouvelles saveurs, ce vieil escroc de Père Brian, un chaman peu en phase avec le monde moderne et pas mal d’autres.

Au-delà de l’humour permanent que distillent ces pages, Riel invite dans un monde d’une tendresse, d’une humanité et d’une poésie qu’on ne trouve nulle part ailleurs ; exploits déraisonnables, magie et mystères, fantaisies délirantes et hymne à une nature rigoureuse et glaciale en font une lecture vivifiante, réjouissante et toujours agréable. Un monde que certains trouveront enfantin, sans doute, mais un monde qui invite au dépaysement joyeux d’un rêve boréal éveillé, ce qui n’est pas si fréquent.