Un Pulitzer pour L’interprète des maladies, Longues Distances dans la dernière ligne pour le Man Booker Prize et le National Book Award : Jhumpa Lahiri est plutôt cotée outre-Atlantique. On ouvre donc Longues Distances avec un a priori positif, pour terminer sur sa faim. Non que l’écriture soit désagréable, ou l’histoire inintéressante ; simplement, le roman ne prend pas. L’ensemble n’est pas sans rappeler l’impression produite par un autre roman plébiscité par la critique américaine, Le ravissement des innocents de Taiye Selasi (par ailleurs remarquée ces jours derniers pour  son opposition de la première heure au prix décerné par le Pen Award à Charlie Hebdo, et hasard ou coïncidence, tout aussi cosmopolite et « multi-racines » ou sans attaches que Jhumpa Lahiri).

L’histoire est simple : deux frères de la classe moyenne indienne, nés à Calcutta dans les années 1950, l’un sage, l’autre moins. Les deux sont bons élèves, mais une fois leurs études terminées, trouver un emploi s’avère compliqué. Alors qu’Udayan le rebelle s’investit dans la cause naxaliste (ceux qui ne maîtrisent pas les mouvements révolutionnaires indiens avant d’avoir commencé le roman n’en sauront pas beaucoup plus à la fin), Subhash le réservé décide de partir aux Etats-Unis. Direction le Rhode Island. La longue distance aidant, il perd doucement le contact avec sa famille, jusqu’au jour où il reçoit un courrier l’informant du décès de son frère, abattu par des policiers devant chez lui. Subhash rentre au pays pour les funérailles et fait la connaissance de Gauri, l’épouse enceinte d’Udayan, mise au ban par ses beaux-parents chez qui elle vit depuis son mariage.

Le frère aîné a alors un geste irraisonné (honte, culpabilité, pitié ? les motifs n’apparaissent pas clairs) : il propose à la jeune femme de l’épouser et de le rejoindre aux Etats-Unis, en s’engageant à élever comme le sien l’enfant à naître. Gauri accepte et se retrouve du jour au lendemain projetée dans un monde universitaire inconnu, condamnée à une relative solitude, dans laquelle par ailleurs elle semble se complaire. Alors que le souvenir d’Udayan imprègne l’existence des survivants, on voit se mettre en place une vraie/fausse vie de couple sinistre à souhait. Subhash se console avec la petite Bela, qu’il considère comme sa fille, tandis que Gauri, incapable d’habiter son rôle de mère, distante, mal à l’aise, se lance à corps perdu dans des études de philosophie. Jusqu’à la rupture, inévitable et brutale.

La structure du récit, l’écriture, sont agréables. Le problème vient des personnages, qui frisent le degré zéro côté empathie : deux frères et leurs parents caricaturaux, Bela à l’identique. Le manque de nuances chez les uns et les autres les conduit à des comportements absurdes, laissés sans explications par l’auteur. Quant à Gauri, elle est injustifiable, présentée comme une quasi martyre, antipathique au possible. La construction de ces personnages paraît absolument artificielle, sans vecteur émotionnel, pour un roman qui avance en cherchant à jouer du pathos. L’histoire se délite, le lecteur se détache. Il manque à Longues distances un peu d’ironie, d’humour, un peu (pas d’autre terme possible) de distance, justement. De quoi donner au texte un peu de relief, ici cruellement absent.