Une puissante odeur de scandale flotte toujours autour de Helen Zahavi, jeune romancière britannique d’origine israélienne dont l’entrée en littérature provoqua en 1991 un mémorable tapage : Dirty Week End, odyssée trash d’une femme qui, fatiguée des mains au cul non consenties, abat méthodiquement tout ce qui a une queue sur son passage, fit en effet bondir une certaine Angleterre bien-pensante et hurler les piliers de bars, lesquels dévoilèrent à l’occasion toute la richesse de leur vocabulaire (pour l’anecdote, il s’agit aussi du dernier livre de fiction à avoir fait l’objet d’une demande d’interdiction à la Chambre des Lords.) True Romance (Phébus, 1996), petite histoire d’un triangle sadomasochiste, ne contribua pas à calmer le jeu et confirma, pour certains, cette idée que Zahavi aurait ouvert en littérature une brèche où se seraient engouffrées à sa suite d’autres femmes, sur une trame identique où le schéma d’oppression sociale serait soudainement renversé par la violence. On observe pourtant, à la lire, notamment dans ce Donna et le gros dégoûtant, qu’il y a sans doute plus à voir en matière d’hémoglobine et de pure agression dans le Baise-moi d’une Virginie Despentes : son originalité, justement, est dans le maquillage de la violence par l’élégance d’un style inoffensif, dans cette savoureuse façon de rendre invisible la haine et la vacuité meurtrière derrière un paravent de bonnes manières littéraires.

Donna, donc, et le gros dégoûtant. La situation est plutôt simple : Donna est mignonne et sort avec Joe, qui doit de l’argent à Henry. Henry est obèse, amateur de lait au miel (qu’il boit avec la peau) et profondément vicieux. Elle accepte néanmoins de coucher avec lui en échange d’un report de dette en faveur de Joe, avant d’avoir une mauvaise idée : essayer de jouer à la plus maligne. Elle n’aurait pas dû, car Henry est puissant, pervers, rancunier et prévoyant : sa vengeance sera brutale, comme le constatera ce minable de Joe. Lequel, influencé par Donna, s’essayera à lui rendre coup pour coup…

Helen Zahavi a ainsi construit son roman comme une escalade de perversion où chacun tient à donner le dernier coup de couteau, dans un décor de quartiers louches et de petite délinquance malsaine plutôt bien restitué. Littérairement, elle mène jusqu’au bout cette étrange entreprise consistant à transformer ce tableau crasseux de la misère et de la bassesse humaine en une série d’échanges secs mais aimables entre gens de bonne éducation : les protagonistes restent d’immondes crapules, mais sont présentés sous le jour charmant de méchants de dessins animés ; leurs coups de lattes défoncent les gencives mais sont toujours accompagnés d’un discours raffiné. Ce style infiniment suggestif ne suffit peut-être pas toujours à mettre en lumière l’ignominie des situations que Zahavi voudrait nous faire voir, mais donne en tout cas une certaine originalité à cette lutte psychologique au sommet entre la sournoise Donna (« Cette chienne de Donna », comme la désigne à chaque page sa créatrice) et l’immonde Henry, entre désir de souffrance et arrière-fond sexuel pervers toujours présent. Le roman n’est pas une réussite totale, mais Helen Zahavi maîtrise suffisamment la couleur noire pour obscurcir un dénouement qui fait l’effet d’un réveil moite après le cauchemar.