Au départ, il y a un personnage : celui d’Annabel Chong, devenue star du porno US après avoir participé au plus grand gang-bang de l’histoire du X. Un record impressionnant (bien que battu peu de temps après) : l’actrice, en dix heures, a en effet couché avec 251 hommes. De cette performance hors norme, Gough Lewis ne montrera que de brefs extraits, cherchant plutôt à cerner la personnalité d’Annabel Chong, alias Grace Quek. Mais, aux antipodes de la démonstration facile, Sex : the Annabel Chong story échoue à conclure, à formuler des vérités. Car Grace Quek n’apparaît jamais comme un objet réductible, une proie rêvée pour sociologues en mal d’analyses hâtives. A la fois bête de foire et militante réfléchie luttant pour changer l’image du X, brillante étudiante en sexologie et pitoyable hystérique invitée à un show télé, Grace Quek semble aussi perdue que le spectateur de ce documentaire devant la complexité de sa représentation, l’ivresse malade de ses discours contradictoires. A la question « Pourquoi ? » revenant sans cesse, Grace ne répondra pas, ou, plus précisément, ses réponses seront si variées qu’elles finiront par s’annuler d’elles-mêmes.

Qui est Annabel Chong ? Une projection fantasmatique, un double pulsionnel, une icône violente, ou une figure de pure révolte ? Tout cela, et sûrement davantage. Ainsi, le corps de Grace Quek, assailli par sa création multicéphale, finit par craquer à force de se chercher en vain. Devant un journaliste, Grace tente d’expliquer qu’elle veut faire bouger des choses (lesquelles ? on ne sera jamais vraiment), et quand on lui répond qu’elle y est en partie déjà parvenue, Grace est au bord des larmes, comme si, soudain, elle ne comprenait plus ses propres mots, ses propres actes. Une évolution s’est produite, mais elle ne la voit, elle ne la ressent même pas, et cela devient terrifiant. Plus tard, seule face au réalisateur, Grace se lacérera le bras à l’aide d’un couteau, afin de « mieux sentir qu’elle existe ». Enfin, à Singapour, près de sa mère effondrée venant d’apprendre les activités de sa fille, Grace pleure pour de bon, en promettant qu’un jour elle regagnera une dignité. Elle met alors fin à sa carrière… avant de la reprendre l’année suivante. Si Sex : the Annabel Chong story parvient à être intéressant, malgré son titre et sa musique racoleurs, sa construction sommaire et ses quelques procédés douteux (voir, entre autres, les informations terribles annoncées par le biais de sous-titres afin de mettre en évidence les enjeux de certaines séquences, comme si le cinéaste et les spectateurs devaient sans arrêt dominer Grace), c’est parce que, la plupart du temps, Gough Lewis se contente de suivre son sujet et non pas de le précéder, ouvrant le champ à ses crises et ses doutes, acceptant de se soumettre à un parcours aléatoire et aux multiples images qu’il ordonne et engendre. Et si, en sortant de la projection, l’on n’en sait finalement pas beaucoup plus sur Grace Quek, une esquisse s’est toutefois dessinée, ce qui s’avère préférable, au bout du compte, à une tentative de portrait définitif.