Incontestablement Salsa gagne à être vu en entier. Car si la première scène donne envie de fuir précipitamment loin de cette avalanche soudaine de niaiseries filmées en rafale par un imbécile heureux, on se rend compte peu à peu que l’ensemble tient admirablement la distance sur le même rythme. Sur ce tempo échevelé, le spectacle devient vite réjouissant, voire parfois jouissif, et Salsa atteint la plénitude d’un ahurissant déballage de sornettes. A posteriori, un sentiment de culpabilité rétroactif émerge brusquement à propos de cet agacement initial. En effet, le nom du réalisateur, avatar du patronyme d’un cinéaste célèbre, aurait dû nous mettre sur la piste dès le début. Faute de Luis, on se contentera de l’incroyable Joyce Sherman. Et l’homonyme du génie espagnol ne recule devant rien.

Les événements les plus invraisemblables se succèdent pour être accueillis et digérés avec le plus grand naturel par les personnages. Un jeune prodige du piano désire devenir musicien de salsa mais sa peau « vanille » lui ferme toutes les portes. Alors, pour faire « chocolat » en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, il se passe le visage au brou de noix, prend vaguement l’accent cubain, suit quelques leçons de danse. Facile. Et miracle, grâce à une naïveté déconcertante, personne ne se doute de rien. A moins que ce ne soit la magie du cinéma. Car Joyce Sherman tient beaucoup plus de Gérard Majax que de Buñuel. En un seul tournemain, il réussit rien de moins qu’à faire réapparaître subitement aux yeux de son vieil amant cubain, sans qu’il s’en étonne, la femme qu’il croyait morte depuis 40 ans (« depuis quand tu sais que je suis à Paris ? »). Mais le plus fort c’est que l’illusionniste ne cherche pas à nous prendre par surprise pour réaliser sa performance. Chaque scène, presque chaque plan, comporte un gros sticker qui a pour vocation de nous permettre de bien suivre le spectacle. Au hasard d’un travelling sur des photos de concert, on comprendra par exemple que le personnage en question est un ex-musicien. En fait, la réalisation fait office de surligneur. Une précaution bien nécessaire tant le scénario exige une concentration extrême pour le décrypter.

En effet, les ressorts de l’histoire prennent leur source dans les méandres obscurs des coïncidences de la vie quotidienne. Alors qu’une jeune Parisienne se demande comment se rapprocher du pianiste ingénieusement déguisé en Cubain, un gros camion publicitaire surgit devant elle en exhibant sur son flanc une affiche qui fait la promotion d’un concours de danse réservé aux couples mixtes. A ce moment, un gros plan sur la publicité s’impose sans discussion. Ainsi, de personnages stéréotypés en gags convenus, en passant par un chapelet de subtilités démagogiques, Salsa ressuscite brillamment la série B au cinéma pour notre plus grand plaisir.