Qui a envie d’être aimé ? est adapté d’un best-seller, Les Catholiques anonymes, qui raconte la conversion tardive d’un quadra urbain d’aujourd’hui au catholicisme (combien c’est déconcertant pour l’entourage, sociologiquement stigmatisant ; ce qu’apporte la foi, etc.). Deux voies se dessinent. L’une, purement intime et spirituelle, que le film d’Anne Giafferi arpente à pas plus que feutrés, par peur de faire du prosélytisme. L’autre, ouvertement sociale, consiste à s’amuser de la ringardisation actuelle du catholicisme dans la société, voire, sans mauvais jeu de mots, de sa diabolisation. Ce qui reviendrait à faire de la comédie de mœurs à la Chatiliez, mais là encore, le film refuse poliment la proposition, affolé par l’ampleur des clichés, par le rire brut. La preuve la plus éloquente de cette volte face comique, c’est l’ex-Deschiens Philippe Duquesne dans le rôle du curé : un tel choix supposait une invitation au délire, que la mise en scène, presque tout de suite, étouffe sous la sympatocherie.

Il s’agit donc de biaiser, d’introduire le sujet par petites touches, l’air de rien, dans une chronique familiale où Antoine (Caravaca, excellent) reconduit avec son fils les relations désastreuses qu’il entretient avec son père et son frère (Benjamin Biolay, dont l’arrogance naturelle est nettement plus convaincante que celle qu’il fabrique laborieusement ici). Cela donne une tripotée de réflexions symptomatiques, de symboles, délivrés par un dîner qui tourne mal, une bible qu’on planque derrière ses dossiers comme une revue porno, quand la secrétaire arrive sans frapper. Cette discrétion en marche forcée provoque un terrible amalgame : la gêne inhérente au sujet devient celle du film, qui, à force de prendre des pincettes, se révèle sursignifiant et très artificiel. Caravaca reçoit une baffe de son frère odieux ? Il tend la joue gauche – tu cogites, spectateur ? Et après s’être bien moqué du rituel vermoulu de la catéchèse, le personnage doit se rendre à l’évidence : lui aussi, « a envie d’être aimé » comme le lui suggérait le curé. Voilà. Duquesne ne déconnera donc jamais, sans pour autant prêcher la bonne parole (la cure religieuse est coupée au montage), Caravaca explique à sa sœur, et à sa femme que tout cela lui fait du bien, qu’il ne faut pas avoir peur.

Néanmoins, plus le personnage prétend se libérer du regard des autres, plus le récit s’enfonce dans la sociologie psychologisante, habituel surmoi de la comédie dramatique française : les petits tracas de la famille et du couple, le rapport d’Antoine à l’argent, à la cigarette, aux loisirs, les petits bisous et confidences sur l’oreiller du lit conjugal. Rien de passionnant, mais une chose notable, au fond très catholique : le sentiment de culpabilité et d’aigreur qui se dégage de l’ensemble, l’impression que le film regrette de choisir par défaut ce qu’il sait faire, frustré de renoncer à son dessein originel. Cette énième contrariété finit par produire son charme. Derrière le traité curatif guilleret, c’est plutôt l’observation clinique d’un personnage borné qu’on distingue, de plus en plus ulcéré par les faiblesses de son fils, à mesure que sa thérapie progresse. Ce refoulement filmé au pied de la lettre à la manière d’une série B de psychokiller (Caravaca, archi cassant, limite inquiétant, est convaincu d’être un père cool) trace une perspective inattendue, un flux discrètement subversif qui perturbe le ronron de la chronique néo-bourgeoise (on attend en vain la rébellion du jeune, de plus en plus terrorisé par son père, belle idée). Mais tout cela ne reste qu’au stade de l’épiphénomène, et tel un blob, le gentil film familial se reconstitue à coups de câlins et de tapes dans le dos. L’envie de se faire aimer, sans doute.