Dans la foulée de l’affirmation récente du cinéma coréen en Occident, Memories of Murder arrive entouré d’une aura flatteuse de polar brut et hit de l’année passée en Corée. Confirmation immédiate : alors que pas mal de maîtres étalons de la nouvelle vague du cinéma de genre coréen peuvent encore laisser quelques doutes quant à leur véritable importance (le pompier Park Chan-wook et le malin Kim Ki-duk), Bong Joon-ho, dont le premier film n’est pas sorti en France, débarque brutalement et éclabousse de son talent le paysage du thriller contemporain. Memories of Murder retrace l’échec de la première chasse d’un serial-killer en Corée, dans la campagne des abords de Séoul au coeur des années 80, sous la chape de plomb d’un régime oppressant.

Si le film impose dès son début une immense qualité esthétique, via un plan-séquence ahurissant, il ne cesse de la mettre au service d’un effet de réel qui bouscule les habitudes. Contrairement à la virtuosité vide et à la relative bêtise d’un Sympathy for Mister Vengeance, Memories of Murder s’impose par la simplicité de ses vertus : grande maîtrise technique, certes, mais aussi ironie pétillante, psychologie affinée et croyance toujours renouvelée dans la puissance des dialogues. Le petit groupe de pieds nickelés qui traque le serial-killer est suivi pas à pas sur le terrain, de manière ultra-réaliste, dans une entreprise de démythification proprement stupéfiante. Lorsque la réalisation s’emballe (la poursuite survitaminée dans la nuit), Bong laisse éclater son talent de pur film-maker. Mais le plus important réside dans les entre-deux, moments d’enlisement et de suspension qui témoignent d’une approche extrêmement fine de la réalité coréenne des années de dictature : une manière de thriller historique et social, vision en creux et défaitiste du genre.

L’ironie et le cynisme, qui ressortent d’instants grotesques et du goût refoulé pour le burlesque du cinéaste (le personnage du jeune dégénéré au comportement étrange et syncopé), ne viennent jamais remettre en cause la dynamique en ligne droite du récit. Croyance dans le genre comme matériau à la fois ludique et politique, fougue tragi-comique, plaisir de la pure mise en scène, virtuosité et attirance communicative pour les ténèbres : tous les ingrédients sont réunis pour faire de Bong Joon-ho, jeune cinéaste prodige, le nouveau golden boy du cinéma coréen.