Le film choral est devenu depuis quelques années un genre à part entière, surtout à Hollywood. A travers cet exercice de la fiction prismatique, c’est à celui qui écrira le scénario le plus habile, qui inventera les raccords les plus originaux, qui tissera les liens les plus surprenants entre ses créatures. Et si Altman a longtemps été le champion incontesté de la catégorie « bordel organisé », Paul Thomas Anderson, avec son troisième opus, fait figure de sérieux concurrent. Car Magnolia pourrait presque résumer à lui tout seul la teneur et les enjeux de ce type de projets. Avec, en guise d’introduction, une succession hilarante de trois faits divers traités comme trois suggestions de hasards incroyables, Anderson pointe déjà la mécanique du récit à venir. Autrement dit, comment relier une vaste mosaïque de destins et de situations à un événement précis, comment démontrer qu’une histoire, aussi ténue soit-elle, s’écrit toujours au pluriel, comment inscrire le micro dans le macro -et vice versa.

Une fois ce principe dévoilé, les personnages peuvent entrer en scène par le biais d’une exposition brillante, virtuose, travaillant sans relâche la vitesse, la profusion et la confusion. Un vieillard agonisant (Jason Robards), un infirmier (Philip Seymour Hoffman) et une femme énigmatique (Julianne Moore) à son chevet. Ailleurs, un flic lassé par son célibat (John C. Reilly), un gourou proclamant violemment la domination sexuelle de l’homme (Tom Cruise), un enfant prodige (Jeremy Blackman), un présentateur télé (Philip Baker Hall), etc. C’est à travers ces visages encore mal dégrossis, quasiment balayés tour à tour par l’épuisante cadence de présentation, que le vertige lié à la narration atteint son paroxysme. Quelques instants pendant lesquels règnent le potentiel, le désir brut et intense des propositions futures, les projections totales et les folles hypothèses. Après ce feu d’artifice séminal, la déception s’avère inévitable. Magnolia se regarde certes avec plaisir, mais ne s’élève que rarement vers les hauteurs espérées. Options banales, discours moralisateur, évolutions prévisibles : Anderson pose un regard finalement assez consensuel sur son petit monde. Ainsi, la femme adultère se repent, Supermacho craque, l’enfant jouet se révolte. Des choix illustrés avec une certaine force (en partie grâce aux acteurs, tous excellents), mais qui n’échappent pas toujours à la pesanteur psychologique et aux dialogues bien-pensants (la logorrhée du père alité). Heureusement, l’auteur de Boogie nights nous gratifie de temps à autre de quelques idées jouissives, symptômes fulgurants d’une indéniable imagination. Dommage qu’il faille les attendre pour apprécier pleinement le talent du cinéaste…