Comme Good bye Lenin ! qui était sorti sur les écrans français accompagné de sa petite musique « nostalgique » pour un retour doux-amer dans le Berlin-est d’avant la chute (du mur), pas doux du tout, très amer, La Chute (du Troisième Reich) nous arrive précédée de sa fanfare militaro-commémorative archi-convenue : « il est temps que l’Allemagne regarde son passé en face », version soft et bien pensante pour journalistes en manque de papiers ; ou bien : « mais qui était donc Adolf Hitler, un monstre, un homme, un mélange des deux ? » version plus hard, quand on sait la part de fascination glauque qui entre dans l’intérêt pour la vie et l’oeuvre du Führer. En France, le film ne se vend que sur ce double argument : d’une part -c’est son côté le plus intéressant- un film allemand sur le plus douloureux passé de l’Allemagne ; d’autre part, un portrait d’Hitler au moment de sa fin, à l’heure où les Soviétiques s’emparent de Berlin et où les habitants de la ville subissent des violences inouïes. On nous dit que le film a déjà fait un carton outre-Rhin avec un débat sur la mémoire du peuple allemand. Sûr que le cinéma n’y est pas pour grand chose, recouvert par les questions de société qu’on lui fait poser. Un film pour se souvenir, d’accord, mais de quoi ?

Sur le cas Hitler, le cinéma a fait récemment deux propositions assez peu convaincantes : un téléfilm proche du naveton intitulé Hitler, la naissance du mal avec Robert Carlyle dans le rôle titre (rires ?) sur lequel il faut vite passer. Au débat suivant la diffusion à la télévision, un historien allemand sérieux et mal dans sa peau avait lâché : « Je suis embarrassé… mais Hitler, ce n’est pas ça ». Le téléfilm reconstituait, experts à l’appui, la montée d’Hitler au pouvoir et le présentait comme un politicien histrionique galvanisant les foules ; l’interprétation donnait outrancièrement dans l’Actor’s Studio pour un résultat qui frôlait la banalisation du personnage. L’autre proposition est venue du cinéaste russe Sokourov qui empocha à Cannes le prix du scénario : Moloch (beau titre) est un exercice de style sur le thème « Hitler et Eva Braun s’amusent dans leur repaire ». Hitler comme bouffon amoureux ? Pourquoi pas, même si on était assez vite gêné par le côté « olé olé » de l’entreprise. Où se situe La Chute dans cette filmo proche du zéro ? C’est un peu le mélange des deux : d’un côté, reconstitution minutieuse à gros moyens pour montrer les violences de la guerre aérienne sur les Berlinois (celle-là même qui sert de sujet au passionnant essai de Sebald, De la destruction), de l’autre, le suivi scrupuleux et plutôt bien mené des dernières heures du Führer dans son bunker avec sa clique d’officiers affolés et de ministres serviles.

Cette partie est la plus réussie ; c’est à travers elle que se réalise la volonté initiale du réalisateur et du scénariste et la crédibilité du film, à savoir l’incarnation du chef de l’Allemagne nazie au moment de sa fin, là où ses biographes le décrivent comme un être cassé physiquement et perdant tout contrôle de lui-même et de la situation. En partie inspiré des mémoires de la secrétaire particulière du Führer, La Chute a d’abord comme ambition de cerner le profil d’Hitler à quelques jours de son suicide, quand tout fuit sa puissance omnipotente, son état physique, son état-major, etc. Or, l’interprétation de Bruno Ganz, sur une palette sobre mais qui sait habilement jouer des excès, impose d’emblée la couleur juste du huis-clos attendu : les longs couloirs qui mènent à des conciliabules à vide entre le chef et ses officiers sur le déroulement des opérations militaires, l’attente interminable de tout ceux, qui, dans le bunker, ignorent presque l’avancée-éclair des troupes soviétiques et la misère absolue où entre le peuple berlinois donnent à voir une portion d’humanité aveugle prise dans un film-fantasme (La Grandeur du Reich continue) qui est d’autant plus passionnant qu’il finit par figurer la métaphore parfaite des treize années d’Allemagne hitlérienne : une dictature fondée sur le mensonge, un peuple terré vivant dans la peur. Ce n’est pas pour rien que le personnage de Goebbels est central dans cette histoire : ministre de la propagande par qui le mensonge est passé, il fait venir sa femme dans le bunker pour organiser avec elle l’assassinat de ses enfants : pour lui, la vie du clan n’aurait pu survivre à la lumière de la surface et à la vérité de son rêve abattu.

Pourquoi alors le film ne tient pas toutes ses promesses ? Parce que, très vite, la mise en scène a peur de l’ennui qui frappe ces couloirs de bunker, ne parvient pas à filmer obstinément le « rien » qui les habite, cette vacuité qui s’empare de tout. Le précis de décomposition d’Hitler, offert par le jeu de Ganz ne suffit pas au réalisateur. Il veut batifoler dans la fresque historique, dépenser son argent de film à gros budget. C’est alors la succession de vignettes : Berlin sous les bombes, les corps déchiquetés, les officiers dépassés, les hôpitaux débordés… Le film-débat revient en force. Il n’y a plus qu’à attendre l’avis de l’ historien allemand sérieux et mal dans sa peau. Est-ce qu’il trouvera que c’était « comme ça », les dernières heures de Berlin ?