Dans un pays où la production cinématographique est entièrement financée par l’Etat, il faut, avant toute concrétisation d’un long métrage, que le scénario soit accepté par une commission de censure ultra sévère. Ceci explique peut-être les maladresses de L’Immeuble de Viet Linh, dont l’histoire évite soigneusement toute allusion politique directe susceptible de renvoyer le film aux oubliettes des projets interdits. Difficile pourtant d’éluder cette partie quand le sujet développé -la vie des habitants d’un immeuble collectif durant les années 70 et 80-, se pose comme le bilan d’une période riche en mutations (le passage du collectivisme à l’économie de marché). Malgré tout, la cinéaste parvient à nous distiller çà et là quelques réflexions sur l’évolution de son pays sous le couvert de n’évoquer que l’aspect social de cette époque. Le film se focalise sur un même lieu, le fameux immeuble, sans s’ouvrir aux événements extérieurs. Le politique ne transparaît alors que par les faits et gestes du quotidien des protagonistes.

Si le détournement est subtil, L’Immeuble nous donne malgré tout l’impression d’une œuvre arrivée trop tard qui évoque sans originalité des thèmes rebattus par le cinéma occidental et asiatique : les vaines illusions charriées par les idées révolutionnaires des années 70 et l’individualisme croissant allant de pair avec le capitalisme. De plus, le regard que porte Viet Linh sur cette période forcit le trait au lieu de le nuancer : la joyeuse vie collective au sein de l’immeuble est mise en valeur par le contraste que crée le départ des locataires vers des maisons privées et la dispersion de la communauté. La simplification qui découle de ce traitement bipartite se trouve renforcée par une mise en scène aux intentions louables mais terriblement naïves. Bien souvent, Viet Linh montre au lieu de suggérer, tels ces gros plans sur les visages des personnages où transparaissent avec outrance les sentiments. Son montage travaillé tente d’apporter une certaine poésie au film mais ne figure que des tentatives loupées parfois trop évidentes ou au contraire insaisissables. Reste alors, dans L’Immeuble, le charme d’une œuvre bricolée avec deux bouts de ficelle (le film n’a coûté qu’un million de francs et ne se déroule en fait que dans une seule pièce que la magie du décor transforme en plusieurs chambres) à laquelle on finit par s’attacher au vu de la précarité de son existence.