Comment considérer Nicolas Boukhrief en 2010, après cinq longs-métrages, un fauteuil de boss à Canal + écriture et l’OPA manquée de ses ex collègues de Starfix sur le cinéma de genre français au cours de la dernière décennie ? Evidemment plus comme un jeune espoir, pas vraiment comme un auteur non plus, quoiqu’on devine une constante intention depuis trois films. D’écrire dans son coin une œuvre linéaire, presque calme, limite modeste, sans excès de greffes improbables et mégalomanes à la Christophe Gans. Par exemple, Boukhrief est fasciné par les gens ordinaires, la camaraderie d’entreprise, les Etap Hôtels et les pauses clopes sur le trottoir. Tout ce bestiaire naturaliste est convoqué dès la première minute de Gardiens de l’ordre, ronde de nuit classique d’un trio de flicaillons sans grade dans un quartier parisien rénové. Puis ça bascule d’un coup de revolver, tiré par un fils de député, défoncé aux amphètes jaunes fluos. Un collègue meurt sur le coup, le coupable crie à la bavure, et Cécile de France et Fred Testot de jouer à Miami vice en catimini de leurs supérieurs, pour sauver leur CDI.

On avait dit modeste ? On retire. Michael Mann n’inspire pas seulement le scénario : caméra HD, atmosphère virile et professionnelle qu’une longue inspection de discothèques est supposée faire virer hypnotique. Cela dit, dans le registre « C’est beau une ville la nuit », l’ensemble lorgne davantage du côté de Melun que de Miami. Le film a beau multiplier les velléités d’élégance (les pilules fluos, buildings verre-acier des quartiers parisiens rénovés), de lancer les cortèges de grosses bagnoles métallisées ou d’enregistrer, avec une gourmandise de monstre froid, les rituels du banditisme et des oiseaux de nuits, il se révèle bien trop étriqué dans la forme pour tenir le quart de ses ambitions. Rien que le titre, Gardiens de l’ordre, fait pressentir une baudruche potentielle, sans compter qu’il voisine avec une expression usuelle moquée par des générations de comiques. Menace parodique renforcée par le choix du Fred Testot, du SAV de Canal +, en Sonny la Croquette. S’il s’affirme plutôt convaincant en balèze testostéroné, Boukhrief l’oblige à un dépassement de soi harassant, à l’extrême limite de la mise à mort – l’ingestion forcée d’amphétamines, grand moment de solitude, où le n’o acteur, portant toute la crédibilité du film sur ses épaules, est sommé de singer l’hystérie psychopathe sans sombrer dans le ridicule.

Ainsi va le film, tiraillé par une sobriété de petit scarabée du polar pas forcément volontaire (grammaire limitée à trois cadrages, dont un pano gauche-droite à chaque virée en boîte) et fantasmes de petit caïd (un vol de sac dans un commissariat, dilaté à la Hitchcock, comme le casse du siècle). En résulte une fébrilité insensée, un récit bourré d’ébauches, trop mal fagoté et paradoxalement trop prétentieux pour emporter l’adhésion. Boukhrief confond crispation et tension, comme si la moindre respiration, le moindre changement de rythme étaient susceptibles de bousiller le suspense. Cette crispation aurait pu nourrir l’intrigue, centrée sur l’imposture et l’amateurisme revendiqué des deux petits fonctionnaires, tenus de passer pour des cadors. Mais non, le film se rêve tellement en grand polar mannien qu’il pousse l’aberration jusqu’à imaginer ses personnages en superpros. De quoi faire passer Gardiens de l’ordre pour ce qu’il est : une série B pâlote, écrasée par ses références, grignotée par la peur.