Des gitans d’une honnêteté douteuse, des mafieux aussi riches que cruels, des grands-pères bien décidés à profiter des quelques années de vie qui leur restent, des grands-mères astucieuses, des Roméo et Juliette disjonctés, des nains, des géants, l’univers d’Émir Kusturica est décidément, dans Chat noir, chat blanc, comme dans ses précédents films, totalement délirant. Délirant, mais aussi terriblement séduisant et réjouissant. Loin de la cacophonie que certains évoquent à son propos, ce monde me rappelle davantage celui de la fable : comme dans les meilleurs contes de fées, des personnages plus loufoques les uns que les autres entrent dans l’image et en disparaissent comme des lutins ; le merveilleux cohabite avec la mesquinerie humaine, les événements s’enchaînent implacablement et précipitent les malheureux protagonistes vers leur destin. Mais comme dans les meilleurs contes de fées, ce tourbillon de turpitudes n’empêchera pas le film de se conclure par une « happy end » fortement désirée.

L’art de Kusturica est avant tout dans la façon de composer ses plans, véritables tableaux en mouvement : rien n’est laissé au hasard et malgré le bouillonnement permanent de personnages, d’animaux et d’objets qui se croisent et disparaissent, la mise en scène est maîtrisée à chaque instant. La bande-son aussi participe pleinement à cette fantastique symphonie cinématographique : qu’il s’agisse de la musique et des chansons composées par Nelle Karajlic ou bien des sons divers et variés qui ponctuent le film, tout participe à la folie de cette fresque fantastique.
Les acteurs enfin ne sont pas en reste : de retour dans le monde des gitans, c’est chez eux qu’Émir Kusturica recruta les individus susceptibles d’incarner ses extravagants protagonistes. Le metteur en scène dut ainsi diriger son film avec des acteurs qui ne comprenaient pas sa langue, mais avec pour récompense un surcroît indéniable de sincérité.

Enfin, pour conclure, il faut préciser que ce film est avant tout une magnifique histoire d’amour qui ne pourra pas laisser de marbre le cœur le plus endurci. Et si c’était le cas, les nombreuses scènes hilarantes qui ponctuent le film finiront, elles, par dérider notre spectateur atrabilaire…