Bien qu’auréolé de plusieurs participations à divers festivals de cinéma indépendant plutôt bien cotés et malgré un certain charme, Babylon, USA ne parvient pas à convaincre totalement. Car si cette évocation de quelques consciences en pleine période de trouble diffuse des effluves mystérieux, elle pèche par la forme. En pleine dépression, un jeune réalisateur revient chez lui pour hanter les rues de sa ville à la recherche d’un nouveau souffle. Au détour d’une rue, il rencontre une ancienne camarade de classe avec laquelle il n’avait que peu de choses en commun. Pour explorer l’univers mental de leurs deux familles douillettement nichées dans une petite ville modèle de la région de Long Island, le cinéaste utilise des matériaux bien trop clinquants pour pouvoir séduire : un noir et blanc pas vraiment justifié, une éclipse censée jouer le même rôle perturbateur que la pleine lune, un urbanisme déserté par la plupart de ses habitants. Pourtant, l’habile enchaînement de micro-événements reliés à la vie courante qui tient lieu de récit et tend à effriter les contours de ce dispositif convenu pour le dissoudre dans le quotidien aurait pu redresser la barre.

Malheureusement, la déconnexion totale qui existe entre la réalisation et les affects qui animent les personnages ne permet pas de leur donner une vie formelle à la mesure de leur intensité intime. La petite comptine lancinante qui accompagne les images, la fragmentation de l’espace et sa restitution sous forme de diaporama, les plans projetés en accéléré ressemblent à des artifices visuels plus destinés à composer une poésie superficielle qu’à rendre palpable la dérive de ces âmes en peine. Dommage, car chacun de ces fantômes qui déambulent mécaniquement ou errent en pleine perdition dans des lieux sans vie transporte un poids invisible qui contient un potentiel esthétique singulier.

Le cinéaste isole dans cette petite ville, non pas les germes de la dépression, mais ceux d’un état critique qui se situe juste avant ou juste après. A Babylon, le vide occupe tout l’espace. Seule la routine réunit encore les parents du jeune homme, comme seuls les non-dits séparent son père de la mère de la jeune femme qu’il rencontre. Ce mutisme généralisé paralyse les rapports affectifs et avive une frustration rentrée. Si Mike Leigh avait su aller jusqu’au bout de cette entropie momifiante avec le glaçant Bleak moments, Eric Mendelsohn désamorce cette atonie par son style spectaculaire ludique (les effets de l’éclipse bouleversent l’ordre établi). En revanche, Babylon, USA conserve l’immense qualité de laisser de côté les causes pour ne s’intéresser qu’aux stigmates de cet état mélancolique. Une retenue qui préserve en partie l’aura de cette errance douce-amère.