Jamais le musée d’Art moderne de Madrid -le Reina Sofia- n’avait consacré une si grande exposition à l’art moderne d’Amérique latine. Divisée en cinq parties autonomes, mais dont les thèmes se recoupent, Versiones del Sur présente plus de 200 œuvres réparties sur trois étages.

L’ensemble des pièces offertes au public n’obéit à aucune chronologie rigoureuse. Le propos d’un tel regroupement d’artistes, en effet, tend à donner un aperçu de la dynamique interne qui anime l’art d’un continent, depuis le commencement de son processus jusqu’à nos jours. De présentation linéaire il n’est donc pas question. Mais pour autant, le visiteur n’a pas devant lui un chaos désordonné. Tout en témoignant d’une sensibilité unique, les cinq expositions participent au même projet d’édification d’un art lié au concept de métissage issu du post-colonialisme. Sur tous supports, la culture latino-américaine se déploie, dit ses luttes et ses croyances, et propose, avec une ingéniosité baroque, sa perception de l’art comme alternative à l’Occident.

Parmi un dédale d’installations, à l’entrée de l’exposition Au-delà du document, dont l’ambition est de renverser les effets du minimalisme, on pourra être horrifié ou tout simplement intrigué par les sculptures animales de Maria Fernanda Cardoso. Pour réaliser sa Danse de grenouilles, elle a fait coulisser par le ventre, le long d’un cercle de fer, une trentaine de batraciens séchés, membres écartés.
En continuant la visite, Heterotopias, qui désigne à la fois l’hétérogénéité et l’absence des lieux où évoluent les artistes sud-américains, regroupe des œuvres empruntées à deux époques significatives. Si la première s’étend de 1920 à 1940, l’autre de 1950 à 1970, toutes deux tentent de réagir à l’essoufflement et aux écueils des avant-gardes européennes. Dans la salle exclusivement dédiée aux ouvrages sur bois où Torres Garcia a ses peintures et Francisco Matto ses fameux totems, on prend un bain de racine précolombienne. Plus loin, en entrant dans la constellation cinétique, c’est à une conception du mouvement qui tente de dépasser l’héritage du futurisme qu’on se voit participer. Un déplacement devant les Vibrations de Rafael Sotto commande en effet, aux yeux du spectateur, l’émission d’un clignotement de couleurs.

Enfin, dans l’exposition Fricciones, allusion aux Fictions de Borges, le réseau et la trame, le fragment et le texte sont autant de leitmotive mis en friction. Dans cette perspective, répertoriant les métissages du nouveau monde, les Castes de Nouvelle-Espagne (1777) que l’on doit à Barreda nous maintiennent entre art et enseignement. Au fil de la promenade, peut-être regrettera-t-on quelques absences -Rivera, Ségui. Mais elles sont légitimes dans la mesure où leur renom risquait d’entacher d’ombre la multitude d’artistes plus modestes qu’il faut se réjouir, aujourd’hui, d’avoir la chance de découvrir.