Déjà remarqué pour son blog et lors de l’exposition collective « La Boîte à Gand » parmi les invités du Belge Brecht Evens au Festival d’Angoulême 2013, cet autre Brecht publie aujourd’hui White Cube, bande dessinée muette que l’on pénètre à la suite de deux guides jumeaux, personnages chauves à la peau rose vif et vêtus de bleu dont le sourire confiant masque bien les intentions. Quelles peuvent-elles être ? Il y a d’abord un désir d’aller voir de près (et d’acheter compulsivement) des œuvres d’art mondialement connues, exposées et souvent vendues à la Galerie White Cube. Mais très vite les œuvres semblent ne plus se suffire à elles-mêmes, et les deux curieux rigolards multiplient les interventions inattendues, plus ou moins loufoques et bénignes. Il s’agit alors de maquiller la sculpture, de retourner le tableau, de déplacer, de réinstaller et parfois de profaner l’œuvre, mais même dans cet apparent sacrilège, il semble toujours y avoir une recherche d’harmonie, une volonté de recréer des formes permettant d’associer et de faire se ressembler les œuvres et leur environnement immédiat. Une rougeole bienvenue renvoie aux points de trame d’une toile de Lichtenstein ; la superposition de fenêtres sur un écran d’ordinateur devient par transposition une nouvelle manière d’accrocher des tableaux ; une femme-tronc en fauteuil se révèle photogénique au contact de la Vénus de Milo ; le pointillisme de Seurat se recrée par l’impression d’une image pixellisée : autant d’exemples des détournements iconoclastes et impunis de ces jumeaux diaboliques évoluant dans un maelström coloré, gavé des références pop dont Brecht Vandenbroucke bourre littéralement certains de ses tableaux réalisés à l’acrylique.

Par leur gémellité, par leurs tenues et leurs mouvements identiques, ces Dupond et Dupont rigolos suggèrent une neutralité presque apaisante, qui tranche nettement avec la portée de leurs interventions, toutes ponctuées d’un lever ou d’un baisser de pouce. Car plus encore que les sourires et les larmes dont ils gratifient leurs créations, le pouce semble être leur arme de choix, donnant à tout moment une évaluation de ce qui vient d’être réalisé, à l’image des semblants d’opinion qui s’expriment par bribes et par milliards sur les réseaux sociaux. Les perceptions se soumettent alors à une notation distinguant ce qui est cool de ce qui ne l’est pas : le ‘Like’ Facebook et son défunt pendant, le ‘Dislike’, apparaissent explicitement pour scander une réaction obligatoire en lieu et place d’une réelle connaissance de l’objet regardé.

Ces jugements péremptoires et définitifs semblent ainsi pouvoir remplacer toute la complexité du rapport que l’on peut entretenir à l’art : un lien discontinu et lacunaire, fait d’intuitions, d’inspiration, d’incompréhension, d’ennui… Ne resterait plus que la réaction à tout bout de champ, et c’est là sans doute le goût amer que laisse la balade postmoderne des deux bonshommes roses : leurs gestes paraissent indiquer que tout désormais peut prêter à citation. La thèse cède alors la place à la posture, l’étude ne dure que le temps d’une recherche en ligne et la connaissance n’est plus qu’un tissu de réminiscences incertaines et mal digérées, où s’entrechoquent Mondrian, Le Cri, Quick et Flupke et l’ours Yogi, le tout renvoyant finalement à la superficialité et à l’amnésie dramatique de nos propres regards.

Exposition Brecht Vandenbroucke jusqu’au 10 mai à la Galerie Martel, 17, rue Martel, 75010.