On devrait toujours se méfier des auteurs de bandes-dessinées voulant se préoccuper des malheurs de ce monde, tant il est vrai que le vieil adage « on ne fait pas de la bonne BD avec de bons sentiments » se révèle parfois cruellement juste. N’est pas Spiegelman qui veut. Tomaz Lavric a au moins deux bonnes cartes dans son jeu pour ne pas tomber dans cet écueil : témoin direct des événements de l’ex-Yougoslavie, il adopte un parti-pris et un point de vue originaux pour les coucher sur papier. Soit une multitude de petites « fables-nouvelles » tournant autour d’un animal particulier (mouche, oiseau, chat, etc.) et reliées entre elles par un fil conducteur (le survol de deux chasseurs US) qui les englobe dans une unité de temps plus au moins conforme aux règles du théâtre classique. Mais c’est aussi et surtout un dessinateur talentueux à la croisée des chemins de Miller, Tardi et Manara. Un trait épuré et contrasté lorgnant parfois un tout petit peu trop vers le caricatural.

Ceci étant dit, le plus intéressant est sans doute d’avoir traité la guerre elle-même le plus souvent « hors-champs » pour se recentrer sur de petites anecdotes censées symboliser de manière plus subtile l’absurdité du conflit. Un traitement qui rappelle parfois le Perramus de l’immense Breccia sans la verve picaresque et les influences « littéraires » (Borges et Garcìa Marquez). Malheureusement, Lavric peine à se hisser au niveau des grands classiques du genre (C’était la Guerre des Tranchées, Maus…), sans doute parce qu’il se disperse un peu, entre l’expressionnisme macabre, la farce absurde et l’anecdotique. Si certaines de ces nouvelles atteignent le but recherché, d’autres se jettent un peu trop dans l’émotion « facile » ou dans le ridicule à force de se vouloir « décalées ». Ses Fables de Bosnie sont donc de qualité plutôt inégale, trop disparates, pas assez didactiques -pour un conflit qui nous échappe un peu à nous autres occidentaux pépères- mais elles ont au moins le mérite de s’attaquer à un problème qui n’a jamais vraiment trouvé d’écho au sein du Neuvième Art…