No Future in Japan. L’ère punk ne semble pas s’être encore achevée au Japon, ou plutôt devrait-on dire « l’ère grunge », ce qui est finalement la même chose, avec un poil de fatalité supplémentaire. C’est ce que Printemps bleu voudrait sans doute nous faire comprendre, car malgré son titre engageant, sa vision de la jeunesse nippone est franchement acide, voire complètement désespérée. L’ennui mortel suinte des murs de l’école où déambulent sans conviction des lycéens sans ambitions, des murs couverts de graffitis comme pour conjurer la malédiction de la routine. Une atmosphère délétère qui rappellera sans doute aux cinéphiles le Kids return de Takeshi Kitano -d’ailleurs l’école s’appelle lycée Kitano, est-ce vraiment une coïncidence ?-, auquel Tayio Matsumoto emprunte une fascination morbide pour le suicide ludique, véritable défi lancé à la mort pour tromper l’ennui. La scène de la roulette russe sur la plage, par des étudiants à qui un vieux yakusa a donné un revolver et trois balles, renvoie d’ailleurs aux jeux balnéaires mortifères de Sonatine, autre sommet kitanesque.

Sauf que… les adolescents de Kids return, eux, avaient des rêves, des rêves brisés sur les récifs de la réalité sociale japonaise, certes, mais qui exprimaient au moins un embryon d’espoir. Les lycéens de Printemps bleu n’ont plus aucune illusion, ce sont des branleurs -dans tous les sens du terme- bravaches et trompe-la-mort, qui se complaisent dans la marge à défaut de trouver une alternative à une voie toute tracée par une société psychorigide. Dans la marge, Matsumoto l’est tout autant que ses personnages, en se choisissant comme référent une tradition autofictionnelle « high-school » à l’américaine -cf. Daniel Clowes, ou dans une moindre mesure, Debbie Dreschler-, même si le support et les décors ne déparent finalement pas du reste de la bande dessinée japonaise. L’auteur conserve tout de même les gimmicks du manga -notamment le passage abrupt et aléatoire du réalisme au « super-déformé » des visages- pour les inclure dans une suite de nouvelles plus ou moins inspirées de ses propres expériences de jeunesse. Et si les premiers chapitres peuvent sembler anodins et impressionnistes, Printemps bleu se démarque de plus en plus de sa veine documentaire lorsqu’il approche de son dénouement pour verser dans une violence exutoire débridée… D’abord banale, lorsqu’elle se manifeste à travers le crime gratuit d’un cancre blasé et apprenti psychopathe, cette violence atteint un paroxysme quasi surréaliste dans la dernière nouvelle -indéniablement la plus aboutie et la plus surprenante- au cours de laquelle un jeune collégien se fait poursuivre et massacrer par un camarade plus âgé, punkoïde hargneux et particulièrement indestructible, une sorte de « mort-vivant ». Ce que sont finalement tous les personnages de Printemps bleu, des « morts à crédit » glandeurs et sans attentes particulières… sans futur, donc.