Le sujet est inattaquable : le génocide perpétré, dans les années 70, par les Khmers Rouges à l’encontre de leurs compatriotes cambodgiens. Un rouleau compresseur qui, en cinq ans (de 1975 à 1979), décima 1,5 million de personnes, soit plus d’un quart de la population du pays.

Séra, cambodgien d’origine (il quitta le Cambodge en 1975, à l’âge de 14 ans), avait déjà abordé cette tragédie dans L’Eau et la terre, paru en 2005 chez Delcourt. L’ouvrage avait fait son petit effet dans le monde de la BD, autant pour son thème original que pour son graphisme esthétisant. Séra a ici repris les mêmes ingrédients, s’appuyant – outre sur l’indiscutable caution morale et médiatique qu’incarne Bernard Kouchner, signataire d’une préface forte mise en exergue dès la couverture, laquelle apporte sa première touche ronflante à l’oeuvre – sur des propos tirés d’ouvrages cités dans une alléchante bibliographie placée en fin de volume.

Séra a d’ailleurs été bien inspiré de s’appuyer sur ces extraits, le plus souvent des témoignages ou textes officiels. Car ce sont surtout eux qui font l’intérêt de Lendemains de cendres. On y mesure tant l’aveuglement des puissances occidentales, passives face au génocide, que le fonctionnement de la machine khmer rouge, laquelle s’appuyait sur une partie de la population, souvent très jeune et pauvre, pour éliminer l’autre. Est également abordé le lien ambiguë entre les Cambodgiens et leur voisin vietnamien: le Vietnam est en effet la seule nation à être passée à l’action contre le pouvoir khmer, jouant à la fois le rôle de libérateur et de conquérant du pays. Malheureusement, ces propos puissants sont mêlés à une intrigue semi-fictionnelle qui affaiblit considérablement l’ensemble.

On suit en effet tout d’abord deux frères ennemis – l’un khmer rouge, l’autre victime désignée – puis la fuite de l’un d’eux et d’une jeune femme devant l’avancée des troupes vietnamiennes. Cette partie du récit s’avère superflue et parasitaire, posant la question de la nécessité de mettre en avant trois destins présentés comme imaginaires, dans un tout débordant déjà d’humanité tangible. Ce choix apparaît comme un pis-aller pour éviter une forme purement documentaire qui se suffisait ici à elle-même, et aurait été beaucoup plus efficace.

Malgré son étalage de techniques picturales encombrantes, Lendemains de cendres vaut donc avant tout pour ses bribes de textes piochées dans les lectures de l’auteur. Ca donne envie d’aller plus loin, de creuser le sujet, en remontant à la source.