C’est l’association de deux noms qui a fait frissonner tous les amateurs purs et durs de comics aux Etats-Unis. Richard Stark, aka Donald Westlake, la superstar du polar particulièrement apprécié des scénaristes français en mal d’inspiration, et Darwyn Cooke, dont la reprise récente de Catwoman avec Ed Brubaker ou encore celle du Spirit de Will Eisner ont d’abord interpellé, puis convaincu. Cooke lui-même compte quelques fans parmi les rangs des dessinateurs français, dont Charles Berberian, qui en vantait les mérites lors du dernier Festival d’Angoulême. Le récit de ce Chasseur est pourtant du hard-boiled dans toute sa quintessence : Parker, un truand lâché par tous et trahi de toute part, revient à New York pour se venger impitoyablement. Sur ce canevas cousu de fil blanc, feu Westlake a tressé une intrigue solide, sublimée par le trait de Cooke. Les vingt premières pages relèvent d’ailleurs du sublime, comme un concentré d’énergie et de virtuosité pures. Muettes, elles révèlent un univers aux angles et aux perspectives dynamiques, offrant des personnages au design digne des meilleurs publicitaires américains des années 1950. Sans oublier, dans la puissance et le carré dégagés par Parker lui-même, des réminiscences de Jack Kirby, voire des Superman primitifs de Schuster et Siegel. Primitif, c’est l’adjectif qui revient en boucle pour qualifier Parker. Authentique brute à la psychologie sommaire, voire inexistante, Parker est totalement transparent, sans intériorité, à l’image, mutatis mutandis, du Golgo 13 de Takao Saito.

Une telle énergie, entièrement tournée vers une unité d’action sans aspérité (se venger, récupérer son argent), permet au récit de garder une certaine cohérence face au défilé de personnages qui flirtent avec la caricature, sans jamais y basculer, à l’image de cette femme fatale qui a trahi et qui disparaît du récit aussi vite qu’elle y est apparue. Les flash-back successifs sont une suite de tableaux tramés jusqu’à l’excès qui réussissent là où généralement ce type de récit échoue, à savoir dans l’efficacité de leur ellipse. Mais c’est dans le traitement de la violence que Cooke surpasse à peu près tout ce qui fait de mieux sur le marché américain, avec peut-être le Andreyko du Torso de Brian Michael Bendis. Il s’agit d’une violence sourde et brutale, avec une stylisation naturaliste dans le style des films de Sam Peckinpah, où les hommes tuent comme des animaux et frappent aussi fort sur les femmes que sur les truands ou les flics. Parker tue le plus souvent à mains nues, sans revolver ni couteau, à la manière du personnage incarné par Viggo Mortensen dans History of violence de Cronenberg. Mais cette histoire de la violence ; ici, est sans fin, vouée à un éternel retour, sans rédemption ni reniement. Better to burn out than to fade away. Parker immortel.